Prince Henri Auditoire 02 BW

Publication du Cahier d’études n°102 - Tracking Changes in the Intensity of Financial Sector’s Systemic Risk

26.10.2016

Auteurs: Xisong Jin et Francisco Nadal De Simone 

 

Cette étude fournit les premières estimations disponibles du risque systémique dans le secteur financier, défini comme englobant des banques au Luxembourg, leur maisons mères européennes et les sept types d’organismes de placement collectif (OPC) que les banques centrales nationales de l’Eurosystème rapportent à la Banque centrale européenne (BCE) : fonds actions, fonds obligataires, fonds mixtes, fonds immobiliers, fonds alternatifs, autres fonds et fonds monétaires. Le risque systémique est mesuré selon trois formes: le risque commun au secteur financier, la contagion et l'accumulation de vulnérabilités du secteur financier dans le temps qui pourraient eventuellement se dénouer de manière désordonnée. 

Le cadre conceptuel utilisé dans cette étude modélise explicitement l'interdépendance complexe et variable dans le temps entre les institutions financières. Il permet également de répresenter les effets de contagion entre les établissements financiers situés dans différentes juridictions et prend en compte à la fois les liens observables et les liens cachés entre les institutions financières et l'économie réelle et. Enfin, il permet de fournir des projections hors-échantillon des mesures de vulnérabilité. 

Le cadre conceptuel est le même que celui proposé par Jin et Nadal De Simone (2014). Premièrement, les probabilités de défaut (PD) sont estimées à partir du modèle de risque de crédit structurel de Merton (1974). Deuxièmement, l’approche de Segoviano (2006) est utilisée afin de modéliser l’interdépendance entre les banques, entre les OPC, entre les deux types d’acteurs, ainsi que les effets de rétroaction (« feedback effects ») entre le système financier et l’économie réelle. Le cadre est donc utilisé pour modéliser le risque extrême (“tail risk”) dans le système financier (Segoviano et Goodhart, 2009, Gorée et Radev, 2011). Troisièmement, le cadre est appliqué à une large base de données macro-financières afin d’extraire la composante commune des PDs au niveau des groupes bancaires, de leurs filiales luxembourgeoises et des OPC. 

En ce qui concerne les banques luxembourgeoises et les OPC, l’étude a recours à la base de données de la Banque centrale du Luxembourg. Cette base de données est beaucoup plus riche que celles utilisées dans les études précédentes qui se basaient sur des données publiques sur les banques et en se limitant à des données de rendement sans information sur le levier des OPC ou sur leurs liens avec les banques. 

Les principaux apports de cette étude sont les suivants. Tout d'abord, cette étude est, au meilleur de la connaissance des auteurs, la première application complète de l'analyse des créances contingentes (à la Gray et Malone, 2008) aux banques et OPC. 

Deuxièmement, tout en suivant l'approche de Segoviano et Goodhart (2009), cette étude diffère dans plusieurs aspects importants. Compte tenu de l'absence de données concernant les credit-default swaps et les obligations de nombreuses banques ainsi que du fait que les parts des OPC ne soient pas négociées, le modèle de risque de crédit de Merton est estimé à partir des feuilles bilantaires des institutions financières comme dans Souto et al (2009), Blavy et Souto (2009), et Jin et Nadal De Simone (2011, 2014 et 2015). 

Troisièmement, cette étude identifie explicitement les liens entre les mesures du risque systémique dans le système financier et les variables macro-financières, ce qui n'a pas été fait dans la littérature empirique antérieure. Le cadre proposé identifie les variables macro-financières les plus étroitement associées au risque systémique. 

Quatrièmement, en identifiant les principales variables plus étroitement associées aux vulnérabilités du système financier, le cadre proposé identifie explicitement les variables économiques et financières que les responsables de la politique macroprudentielle devraient surveiller afin de prévenir ou d’atténuer toute instabilité financière. 

Enfin, et tout aussi important pour l'élaboration des politiques macroprudentielles, le cadre proposé peut fournir des prévisions hors échantillon raisonablement solides des mesures du risque systémique du secteur financier. 

Les principaux résultats montrent que: 1) l'interdépendance dans le secteur financier a diminué au cours des trois premières années de la période d'échantillonnage, 2008-2011, mais a de nouveau augmenté par la suite au même moment où la BCE dénonçait une augmentation du “search for yield” dans le système financier. 2) Tandis que le degré d'interdépendance entre les banques et les OPC a été très variable au cours de la période étudiée, il y a lieu d’observer une nette asymétrie dans ces interconnexions puisque les OPC représentent une source plus importante de contagion pour les banques que l'inverse, ce qui est davantage le cas pour les groupes bancaires européens que pour les banques luxembourgeoises. 3) Toutefois, alors que les vulnérabilités dans les OPC peuvent présenter un risque de contagion plus élevé pour les banques que l’inverse, il semblerait que, pour surveiller la croissance des vulnérabilités au fil du temps, il soit préférable de surveiller la part la plus vulnérable du secteur bancaire parce que les composants communs de mesures du risque systémique ont tendance à prendre le pas sur les mesures de risque systémique elles-mêmes. 4) Le risque systémique dans le secteur financier résultant de l'interaction entre les banques et les OPC doit être analysé non seulement du point de vue de leurs participations croisées, mais nécessite également de prendre en compte les liens indirects entre les banques et les OPC par le biais des prix du marché et des corrélations des rentabilités des portefeuilles qu'ils détiennent. 5) Les principales variables étroitement associées aux PD marginales sont similaires à celles associées aux mesures de risque systémique. Le coût de financement, comme les taux d’intérêt et le spread, ainsi que la croissance du PIB (ainsi que d'autres indicateurs de l'état de l'économie, tel que le taux de chômage) sont les variables plus etroitement associées aux mesures de risque systemique, suivies des quantités de financement, comme la croissance du crédit. 

Plusieurs enseignements pour la formulation de la politique macroéconomique peuvent être tirés de cette étude. Étant donné que l'étude lie explicitement les mesures de risque systémique à l'état de la situation macroéconomique, elle fournit un cadre pour un débat plus éclairé quant aux mesures à prendre afin de remédier à ces vulnérabilités. En tant que tel, le cadre peut aussi être utile pour l'étalonnage des instruments macroprudentiels. En outre, l'étude contribue à une mesure plus robuste du risque systémique en permettant d'évaluer les passifs éventuels découlant du système financier et, compte tenu de la condition de parité “call-put” intégrée dans le modèle Merton, de determiner aussi les pertes contingentes au status quo. En outre, cette étude contribue à l'élaboration de la politique macroprudentielle en proposant un cadre pour la prévision des changements des risques systémiques financiers qui permet d’apporter une solution à la problématique selon laquelle la simple agrégation des PD marginales et leur projection dans le futur produisent une mesure du risque systémique biasée vers le bas. Finalement, le cadre améliore les performances hors-échantillon de prévision du modèle en intégrant les composantes communes et idiosyncratiques d’un large ensemble de variables macro-financières. Ceci rend le cadre utile dans les tests d’endurance du système financier. 

Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème. 

Ce cahier d’études est disponible sur le site internet de la BCL : www.bcl.lu