Prince Henri Auditoire 02 BW

Publication du Cahier d’études n°109 : Systemic Financial Sector and Sovereign Risks

29.06.2017

Auteurs: Xisong Jin et Francisco Nadal De Simone

La présente étude utilise une approche permettant d’englober le risque systémique émanant des banques et des fonds d'investissement, ainsi que des secteurs des sociétés non financières et des ménages. Se basant sur la condition de parité call-put telle qu'énoncée dans le modèle de risque de crédit structurel de Merton (1974), cette étude intègre les créances éventuelles systémiques qui en résultent dans une version stochastique du bilan de l'Etat afin d'en évaluer l'impact sur le risque souverain. De surcroît, il y a lieu de noter que le risque systémique peut également provenir du secteur public. Par conséquent, des pertes systémiques peuvent résulter d'un risque systémique qui est commun à l'ensemble du secteur financier ; d'un effet de contagion au sein du secteur financier ; de l'accumulation de vulnérabilités du secteur financier au cours du temps ; du marché immobilier ; du secteur des sociétés non financières ou du secteur souverain.

Plus précisément, dans cette étude, le risque systémique ainsi que les passifs éventuels qui en découlent, pourraient provenir des 6 Autres Etablissements d'importance systémique luxembourgeois (Other Systemically Important Institutions (OSIIs)), des 4 Banques d'importance systémique mondiales (Global Systemically Important Banks (G-SIBs)) auxquelles ils appartiennent, des 17 fonds d'investissement parrainés par ces OSIIs, du marché immobilier, du secteur des sociétés non financières ainsi que du secteur souverain.

Le cadre conceptuel de cette étude est le même que celui proposé par Jin et Nadal De Simone (2014, 2015, et 2016). Premièrement, les probabilités de défaut (PD) sont estimées à partir du modèle de risque de crédit structurel de Merton. Deuxièmement, l’approche de Segoviano (2006) est utilisée afin de modéliser l’interdépendance linéaire et non-linéaire entre les banques, les OPC, les sociétés non financières, entre les ménages ainsi qu’entre ses secteurs et le souverain, ainsi que les effets de retour (feedback effects). Cette étude est, au meilleur de la connaissance des auteurs, la première application complète de l'analyse des créances éventuelles (à la Gray et Malone, 2008, et Gray et Jobst, 2011) à un pays entier.

Tous les bilans sectoriels stochastiques contiennent à la fois des éléments observés et non observés. L'élaboration des bilans des ménages et des sociétés non financières est basée sur les statistiques de flux de fonds telles que publiées par le STATEC (Institut national de la statistique et des études économiques). Les éléments non observés du secteur souverain, tels que les passifs éventuels, doivent être estimés. Afin de préserver la cohérence interne du présent cadre intégré, cette étude suit Gray and Malone (2008) et utilise la fonction de production agrégée de l'économie luxembourgeoise afin d'établir le lien avec les ménages et les sociétés non financières. En particulier, la valeur actuelle après impôts du revenu du travail est calibrée selon les projections de la Banque centrale du Luxembourg et la valeur du stock immobilier résidentiel des ménages provient des comptes nationaux. La fonction de production agrégée est aussi utilisée pour calibrer la valeur actuelle après impôts des revenus de capitaux dans le secteur des sociétés non financières.

Un résultat général significatif de cette étude est que les différents indicateurs de vulnérabilité et de risque suggèrent que le secteur souverain est robuste par rapport à un éventail de chocs générant des passifs éventuels provenant directement ou indirectement du secteur financier. L'analyse souligne le rôle clé d'une situation budgétaire saine pour la stabilité financière.

D'autres résultats plus spécifiques peuvent être mentionnés. Premièrement, en ligne avec Jin and Nadal De Simone (2014a and 2014b), la baisse des taux d'intérêt mise en place afin de contrer les effets négatifs de la crise financière de 2008 sur l'économie réelle a contribué à réduire le niveau de fragilité des banques et des fonds d'investissement, bien qu'elle ait également augmenté l'interdépendance en matière de risque entre les établissements financiers.

Deuxièmement, les garanties implicites du gouvernement (c’est-à-dire les pertes éventuelles auxquelles le gouvernement pourrait devoir faire face)  envers des Autres Etablissements d'importance systémique luxembourgeois ont connu une baisse en valeur durant la période suivant la crise financière, mais ont été très peu affectées par la crise des souverains.[1]

Troisièmement, l'hétérogénéité des garanties conditionnelles implicites du gouvernement est moindre au sein des groupes bancaires européens que parmi les Autres Etablissements d'importance systémique luxembourgeois durant la période retenue, excepté lors de la crise de la dette souveraine.

Quatrièmement, le risque systémique provenant des ménages et des sociétés non financières ne semble pas être particulièrement élevé.

Cinquièmement, en ce qui concerne le secteur souverain luxembourgeois, la distance par rapport à la défaillance (distance to distress) s'est améliorée de façon significative entre 2014 et la fin de cette étude, juin 2015, reflétant l'amélioration de l'excédent primaire des administrations publiques, la stabilisation de la dette publique et d'autres facteurs.

Sixièmement, la solidité du secteur souverain n'est pas considérablement affectée par le risque systémique provenant de chacune des sources considérées dans cette étude. Les garanties conditionnelles implicites du gouvernement ne s'écartent pas de façon significative du point de référence (the no-shock benchmark) suite à une défaillance dans le secteur financier ou à des chocs, de grande ampleur mais plausibles, touchant les prêts hypothécaires des ménages ou les prêts des sociétés non financières. A l'inverse, le risque souverain serait significativement affecté par une augmentation présumée (exogène) de 40% de la volatilité de la valeur des actifs souverains associée à des chocs sur les Autres Etablissements d'importance systémique luxembourgeois, les groupes bancaires, les fonds d'investissement ou le secteur privé non financier. Bien que la solvabilité du secteur souverain luxembourgeois ne soit pas mise en danger, ce scénario illustre l'importance de la soutenabilité des finances publiques pour la stabilité financière.

Plusieurs enseignements pour la formulation de la politique macro-prudentielle peuvent être tirés de cette étude. Etant donné que le cadre conceptuel peut mesurer l'exposition des banques via leur soutien financier implicite aux fonds d'investissement qu'elles parrainent, ce cadre peut aider à calibrer la capacité d'absorption de pertes additionnelles requise par les banques afin de couvrir leur contribution directe et indirecte au risque systémique. L'étude contribue aussi à une mesure plus robuste du risque systémique, en permettant d'évaluer les passifs éventuels du souverain émanant du système financier et de déterminer ainsi les pertes éventuelles qui résulteraient dans l’hypothèse d’un cadre de politique économique inchangé. En outre, même si ceci n’est pas entrepris dans cette étude, l’approche contribue à l'élaboration de la politique macro-prudentielle, car elle offre un cadre pour la prévision des changements des risques systémiques financiers, permettant ainsi d’apporter une solution à la problématique selon laquelle la simple agrégation des PD marginales et leur projection dans le futur produit une mesure du risque systémique biaisée vers le bas (e.g., Jin et Nadal De Simone, 2012). Ainsi, ce cadre pourra être utile dans les tests d’endurance du système financier. 

Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème.

Ce cahier d’études est disponible ici.

[1] Les garanties implicites du gouvernement sont calculées comme suit: la perte par défaut de l'OSII supposée en défaut est ajoutée aux pertes attendues conditionnelles d'au moins un autre OSII, pondéré soit par la part du gouvernement luxembourgeois dans les capitaux propres de l'OSII, soit par la part des actifs de l'OSII dans le total des actifs du groupe bancaire auquel il appartient.