Prince Henri Auditoire 02 BW

Publication du Cahier d’études n°95: Les vulnérabilités des organismes de placement collectif : une approche dynamique d’évaluation des risques systémiques

28.07.2015

Les vulnérabilités des organismes de placement collectif : une approche dynamique d’évaluation des risques systémiques

Auteurs: Xisong Jin et Francisco Nadal De Simone

Les fonds d’investissement sont une composante importante du secteur financier luxembourgeois avec un encours bilantaire dépassant les 3000 milliards d’euros au 30 juin 2014. Ils entretiennent des liens variés avec les établissements de crédit au niveau national et à l’étranger. Bien qu’actuellement le degré de vulnérabilité des fonds d’investissement soit compatible avec les exigences de stabilité financière, l’expérience récente lors de l’émergence de la crise financière internationale a révélé le rôle de levier que peut jouer cette composante dans la propagation des risques. Ainsi, il serait utile dans le cadre de l’institutionnalisation de la surveillance macro-prudentielle au Luxembourg de développer une batterie d’indicateurs qui puisse aider à appréhender la solidité du système financier ou de l’une de ses composantes.

Dans cette étude, nous proposons de construire des mesures de vulnérabilité pour les organismes de placement collectif (OPC) afin de contribuer efficacement à la conduite  de la politique macro-prudentielle. Les mesures de vulnérabilité sont élaborées pour chaque catégorie de fonds d’investissement domiciliés au Luxembourg. Le cadre développé dans cette étude se focalise sur la mesure du risque de crédit d’importance systémique induit par des événements peu fréquents et dont la matérialisation se traduit souvent par des pertes sociales importantes. Toutefois, il importe de souligner que les données de notre échantillon couvrent une période relativement courte; autrement dit, elles ne nous permettent pas de produire des projections des variables de vulnérabilité et de conférer ainsi à nos mesures un caractère d’alertes avancées. 

La présente étude transpose aux organismes de placement collectif le même cadre d’approche intégrée que celui appliqué précédemment par Jin et Nadal De Simone (2014) aux secteurs bancaires luxembourgeois et européen. L’objectif est de mesurer le risque de crédit systémique induit principalement par les interconnexions entre les différentes catégories de fonds d’investissement, mais aussi par l’interaction entre ces dernières et l’environnement macroéconomique.

Cette analyse englobe l’ensemble des sept  types de fonds d’investissement: fonds actions, fonds obligataires, fonds mixtes, fonds immobiliers, fonds alternatifs, autres fonds et fonds monétaires. Les données bilantaires sont  d’une fréquence trimestrielle et couvrent la période de décembre 2008 à juin 2013. Les dettes prises en compte sont réparties en fonction de leurs maturités initiales, c’est-à-dire selon qu’elles soient inférieures ou supérieures à un an. Les parts des fonds émises servent d’approximation pour leurs fonds propres. Les positions des dérivés ont été consolidées.

Notre analyse consiste tout d’abord en l’estimation des probabilités de défaut (PDs) selon le modèle structurel de risque de Merton (1974). Ensuite, l’approche dite « optimisation de la densité multivariée avec information consistante » (Consistent Information Multivariate Density Optimisation, CIMDO) développée par Segoviano (2006) est utilisée afin de modéliser les interdépendances linéaire et non-linéaire entre les différents types de fonds d’investissement ainsi que les effets de retour (feedback effects) entre la catégorie de fonds et le système financier dans son ensemble. Enfin, le cadre offert par les modèles factoriels dynamiques généralisés (Generalized Dynamic Factor Model, GDFM) est appliqué à une large base de données macro-financières afin d’extraire la composante commune des probabilités de défaut marginales. Ceci permet d’observer la manière dont l’ensemble des facteurs communs affectent la vulnérabilité de chaque catégorie de fonds d’investissement. Cette approche met ainsi en évidence les liens entre les mesures de vulnérabilité et les facteurs macroéconomiques sous-jacents permettant ainsi d’atténuer les difficultés liées à la détermination temporelle de l’importance du risque en tant que composante des prix des actifs.

Il y a lieu de noter que le cadre adopté s’avère très adapté à l’analyse du risque de crédit sévère. Il nous a permis d’obtenir des résultats très encourageants. En premier lieu, les probabilités de défaut estimées pour chaque catégorie de fonds d’investissement sont en adéquation avec les différentes restrictions réglementaires auxquelles chaque catégorie est exposée. A titre d’exemple, les fonds alternatifs ont une tendance à présenter des probabilités de défaut plus élevées car ils sont autorisés à maintenir un levier plus important que les fonds monétaires pour lesquels seul le levier dit « technique » est permis.

Ensuite, deux mesures du risque de crédit systémique commun à tous les fonds d’investissement sont estimées : la première est la fragilité systémique des fonds d’investissement  (IFSF), laquelle s’avère déterminante pour l’estimation de la probabilité qu’au moins deux catégories de fonds d’investissement soient simultanément en détresse. La seconde est l’indice de stabilité des fonds d’investissement (IFSI), lequel est destiné à mesurer l’espérance du nombre de fonds d’investissement qui seraient en détresse, sachant qu’un type quelconque de fonds d’investissement l‘est déjà.

Il ressort de nos estimations que ces deux mesures suivent de près les changements les plus significatifs des coûts de financement, en l’occurrence les taux d’intérêt à court terme et les indices de prix des actions, ainsi que les développements macroéconomiques. Dans ce contexte, il est important de souligner que les composantes communes du risque issues des deux mesures sont corrélées négativement. Un tel résultat suggère qu’une augmentation des coûts de financement suite à un resserrement de la politique monétaire réduirait aussi la composante commune de l’indice de fragilité systémique des fonds d’investissement. Ceci s’explique principalement par l’incitation à une moindre prise de risque sans pour autant réduire l’apport  du coût de financement à la composante commune de l’indice de fragilité.

En troisième lieu, le risque de crédit afférent à l’activité des fonds d’investissement est susceptible d’être mesuré par la probabilité conditionnelle qu’au moins une catégorie de fonds d’investissement soit en détresse (PAO) sachant qu’un type de fonds d’investissement l'est déjà. Dans ce cadre, nos résultats révèlent que le secteur des fonds d’investissement, dans son ensemble, s’avère plus résilient à la détresse des fonds alternatifs et des fonds immobiliers qu’à la détresse des fonds mixtes, des fonds obligataires et des fonds d’actions. Ces résultats semblent être confirmés par une seconde mesure de contagion, en l’occurrence la matrice de dépendance (Distress Depedence Matrix, DDM).

De ce qui précède, il ressort que le degré de fragilité du secteur des fonds d’investissement, en termes de risque de contagion, a progressé au cours de la période de décembre 2009- décembre 2010. Depuis, une nette diminution du risque systémique est observée.

Finalement, quoique les résultats dépendent du type de fonds d’investissement, les variables macroéconomiques (notamment la croissance du PIB), ainsi que certaines variables financières, telles que l’encours du crédit à l’économie, semblent être fortement corrélées à la composante commune des probabilités conditionnelles de détresse des fonds d’investissement au Luxembourg. 

Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème.

Ce cahier d’études intitulé « Investment Funds’ Vulnerabilities : A Tail-risk Dynamic CIMDO Approach » est disponible sur le site Internet de la BCL : www.bcl.lu