Prince Henri Auditoire 02 BW

Publication du Cahier d’études n°143 : Total Factor Productivity and the Measurement of Neutral Technology

27.05.2020

Auteur: Alban Moura

Suite aux contributions de Solow (1956) et Kydland et Prescott (1982), le changement technologique se trouve au cœur des théories macroéconomiques des cycles et de la croissance. Tandis que ces études initiales considéraient seulement un changement technologique « neutre » dans une fonction de production agrégée[1], désigné sous le terme de Productivité Totale des Facteurs (TFP, en anglais), la mise en évidence par Gordon (1990) de la tendance baissière dans le prix relatif des biens d’investissement a attiré l’intérêt sur une seconde source de changement technologique, spécifique à la production des biens d’investissement. Depuis, la littérature macroéconomique débat du rôle relatif du changement technologique neutre et du changement technologique spécifique au secteur de l’investissement, à la fois quant à leur contribution aux cycles et à la croissance économique.

Une difficulté d’ordre pratique pour conclure le débat provient du fait qu’aucun des deux types de technologie n’est directement observable. Par conséquent, l’étude du rôle des deux types de changement technologique s’est longtemps basée sur des restrictions d’ordre théorique. Ainsi, l’on a pu tenter de déduire l’évolution de la technologie neutre et de celle spécifique au secteur de l’investissement à partir des caractéristiques de variables tirées des comptes nationaux, telles le Produit Intérieur Brut et le déflateur des biens d’investissement.

Récemment, certains auteurs ont tenté de discipliner l’inférence en interprétant des mesures de TFP comme des observations directes de la technologie neutre. Cette nouvelle stratégie est rendue possible par la construction de séries de TFP ajustées de l’utilisation des facteurs à fréquence trimestrielle pour l’économie des Etats-Unis, notamment par Fernald (2014). D’après Benati (2014), la série de Fernald est ainsi « largement reconnue comme la meilleure mesure disponible du progrès technologique neutre ».

Dans ce contexte, cet article met en avant deux points. Le premier est qu’il est incorrect d’interpréter les séries de TFP, construites par Fernald et d’autres, comme des observations directes de la technologie neutre lorsque l’économie est aussi affectée par un changement technologique spécifique au secteur de l’investissement. Au contraire, la section 2 de l’article démontre que, dans ce cas, la TFP mesurée agrège et confond la technologie neutre et celle spécifique au secteur de l’investissement. Cet argument soulève de sérieux doutes quant à la validité des conclusions obtenues par ces approches identifiant la technologie neutre aux mesures usuelles de TFP.

Le second point est qu’il est immédiat de construire des séries de TFP qui peuvent être correctement interprétées comme reflétant la technologie neutre, y compris en présence de changement technologique spécifique au secteur de l’investissement. La section 3 discute ainsi la construction et les propriétés de deux de ces séries pour l’économie américaine.

Bien qu’équivalentes en théorie, ces deux mesures de la technologie neutre sont légèrement différentes en pratique. Néanmoins, elles mènent aux mêmes conclusions quant à la nature et à la vitesse du changement technologique aux Etats-Unis. En particulier, les deux séries indiquent un déclin dramatique dans l’intensité du progrès technologique neutre à partir du milieu des années 1970. Il s’agit d’un changement significatif sur le plan statistique : avant 1973, la technologie neutre progressait d’environ 2% par an en moyenne, pour tomber ensuite à un rythme de progression compris entre 0,05% et 0,2% par an seulement. Le changement est également significatif au plan économique : le progrès technologique neutre expliquait plus de 85% de la croissance américaine avant 1973 et moins de 25% par la suite. De plus, si le progrès technique neutre avait continué sur sa tendance initiale après 1973, le PIB américain serait aujourd’hui plus élevé d’environ 70%.

Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème.

[1] « Neutre » signifie ici que le progrès technologique améliore de manière symétrique la capacité de l’économie de produire tous types de biens. Par opposition, le progrès technologique spécifique à la production des biens d’investissement affecte uniquement la capacité de l’économie de produire ces derniers.