Prince Henri Auditoire 02 BW

Publication de la Revue de stabilité financière 2016

07.06.2016

Au Luxembourg, l’avancée de la réforme financière s’est traduite en 2015 par le vote au Parlement de deux textes fondamentaux qui confient de nouvelles attributions à la Banque centrale du Luxembourg (BCL). D’abord, le législateur luxembourgeois a voté le 1er avril 2015 la loi portant création du Comité du risque systémique (CRS) en tant qu’autorité prudentielle nationale. Celui-ci a la charge de coordonner la politique macro-prudentielle au Luxembourg dont l’objectif ultime est de « contribuer au maintien de la stabilité du système financier luxembourgeois, notamment en renforçant la résistance du système financier et en diminuant l’accumulation des risques systémiques, en assurant ainsi une contribution durable du secteur financier à la croissance économique ». Pour ce faire, il dispose d’un ensemble d’instruments macro-prudentiels qui sont pour partie inscrits dans la directive européenne 2013/36/UE et le règlement européen 575/2013, tels que les coussins de fonds propres. De plus, compte tenu du rôle de premier plan attribué à la BCL, celle-ci accueille le secrétariat du Comité qui mobilise les compétences de la Banque afin de proposer des analyses d’intérêt au regard de la mission du CRS. Le 16 novembre 2015, le CRS a publié une première recommandation et deux avis relatifs, d’une part, à la fixation du taux du coussin contracyclique de fonds propres à 0% et l’exemption des petites et moyennes entreprises (PME) de ce dispositif et, d’autre part, l’identification des « autres établissements d’importance systémique ».

Ensuite, la loi du 18 décembre 2015 est venue compléter l’architecture de l’Union bancaire via la trans­cription en droit luxembourgeois des dispositions des directives 2014/59/UE et 2014/49/EU relatives res­pectivement au cadre de redressement et de résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et au système de garantie de dépôts. Le texte organise au Luxembourg la mise en œuvre du mécanisme de résolution unique qui permettra de limiter les conséquences systémiques de faillites d’entités financières et de protéger les déposants. Le Gouverneur de la BCL est membre de droit des quatre organes nouvellement créés que sont : le Conseil de résolution, le Comité de direction du fond de résolution Luxembourg, le Conseil de protection des déposants et des investisseurs et enfin le Fonds de garantie des dépôts au Luxembourg.

Le 10 mars 2016, la Banque centrale européenne (BCE) a de son côté réaffirmé sa volonté de com­battre l’environnement de faible inflation en assouplissant davantage sa politique monétaire. En effet, la reprise au sein de la zone euro reste très timide et les risques de déflation ne sont pas entièrement dissipés. La semaine suivante, la Banque d’Angleterre (BoE), la Banque du Japon (BoJ) et la Réserve fédérale américaine (Fed) ont privilégié le statu quo. La Fed fait donc une pause dans la remontée des taux initiée au mois de décembre 2015, sous la pression d’une dynamique de l’emploi jugée encore trop fragile et des risques en provenance des marchés émergents. De fait, les politiques monétaires restent globalement accommodantes et la remontée de taux aux USA semble être repoussée à des horizons plus lointains.

Pour la zone euro, la BCE estime que le gain de croissance observé sur l’année passée peut être principalement attribué aux politiques monétaires accommodantes et au prix du pétrole particulièrement bas. Si ce constat rassure sur le pouvoir de la politique monétaire, on regrette, néanmoins, la faiblesse de la capacité de traction intrinsèque des économies de l’Union monétaire au niveau agrégé. Il semble que le potentiel de croissance reste très limité en raison de la faiblesse des gains de productivité. En conséquence, la banque centrale insiste sur le caractère durable de l’orientation de sa politique monétaire considérant que la redynamisation en profondeur des économies de la zone euro s’inscrira sur le long terme. Il s’agit donc pour les partenaires de l’Union monétaire d’exploiter ce contexte en effectuant les choix budgétaires et les réformes structurelles qui seront propices à une croissance durable.

L’environnement de taux bas et l’assouplissement quantitatif qui l’accompagne constituent cependant un enjeu de stabilité financière. Ceux-ci réduisent bien sûr les primes de risque sur les marchés obligataires de telle sorte que les taux longs favorisent l’investissement et, par ricochet, la croissance. Néanmoins, la faiblesse des rendements soulève certaines interrogations quant à ses répercussions sur la profitabilité des établissements de crédit qui pourrait à terme être un sérieux facteur de vulnérabilité. Un risque envisageable se matérialiserait au travers de faillites de banques mais aussi de compagnies d’assurance ou de fonds de pension. Cependant, la BCE indique que les marges d’intérêt des établissements de crédit demeurent confortables à l’échelle de la zone euro. De plus, l’Union bancaire et la nouvelle régulation européenne déjà évoquée offrent aux autorités prudentielles nationales et européennes les moyens de surveillance et les instruments nécessaires afin de prévenir, ou au moins atténuer l’émergence de tels risques systémiques.

Bien que les valeurs bancaires aient été affectées par l’accroissement de la volatilité en ce début d’année 2016, l’incertitude qui saisit les investisseurs et se répand sur de nombreux compartiments de marché, trouve son origine dans les économies émergentes. La baisse du cours du pétrole fragilise les pays exportateurs, dont les économies sont souvent peu diversifiées. De son côté, l’économie chinoise ralentit alors qu’elle entreprend un rééquilibrage de son modèle de croissance en faveur de la consommation. Celle-ci fait également face à des tensions sur son marché immobilier ainsi qu’à un excès de dette dans le secteur des sociétés non financières.

Ce dernier constat ne se limite pas au seul cas de la Chine. Les principales économies émergentes ont connu depuis la crise de 2008 une croissance rapide de l’endettement des sociétés non financières. Profitant du relâchement des conditions de financement au niveau mondial et de la baisse des rendements obligataires dans les pays développés, les économies émergentes ont su attirer des investisseurs étrangers en quête de rentabilité. L’émission de titres de créances a, d’ailleurs, été particulièrement vigoureuse ces dernières années, quelle que soit la zone géographique.

Les risques sur les marchés des obligations d’entreprises sont donc de plus en plus prononcés. Les effets de réévaluation des prix d’actifs sur ces marchés, entretenus par le jeu de la demande et des politiques monétaires accommodantes, ont poussé les investisseurs vers des titres moins liquides et vers des signatures de moindre qualité. La fragilité des pays émergents couplée au futur resserrement monétaire américain, bien que retardé par rapport aux annonces antérieures, pourraient constituer des facteurs de retournement des marchés obligataires.

Pour cette raison, les autorités prudentielles et le monde académique s’interrogent sur la nécessité d’étendre l’usage des instruments macro-prudentiels au secteur bancaire parallèle, y compris les fonds d’investissement. Citons dans ce domaine les initiatives du Conseil de stabilité financière et de l’Orga­nisation internationale des commissions de valeurs qui, sous l’impulsion du G20, cherchent à évaluer l’opportunité de les inclure dans l’identification des « institutions non bancaires et non assurantielles d’importance systémique ».

Ces débats sont tout à fait pertinents pour le Luxembourg au regard de la taille du secteur des fonds d’investissement qui place l’industrie domestique au deuxième rang mondial derrière les Etats Unis, mais également de son degré élevé d’interconnexion avec des contreparties aux niveaux des systèmes bancaires internationaux et national. Ces liens étroits se traduisent du côté des banques par des prises de participation, la réception de liquidités ou de titres en dépôts ou le rôle de contreparties qu’elles jouent dans le cadre de transactions sur les produits dérivés. En cas de turbulences financières, l’exposition des établissements de crédit aux fonds d’investissement pourrait alors constituer un canal de transmission de la volatilité des marchés vers le système financier national et in fine l’économie réelle.

L’intérêt de ces questions se trouve renforcé lorsqu’elles sont mises en perspective avec le repli de la taille bilantaire du secteur bancaire depuis la crise. En effet, les développements récents du secteur financier ont largement profité à la finance de marché par rapport à l’activité d’intermédiation traditionnelle. A titre d’exemple, l’actif net des fonds d’investissements luxembourgeois a été multiplié par deux depuis 2009 pour atteindre 3 370 milliards d’euros en 2016. Les contraintes de la nouvelle régulation et le nécessaire assainissement des bilans font que les banques sont en retrait notamment en ce qui concerne leur activité d’animateur de marché. Ainsi, la forte croissance de l’industrie des fonds d’investissement s’accompagne paradoxalement d’une relative réduction de la liquidité sur des marchés de plus en plus fragmentés et informatisés.

Ces enjeux de stabilité financière qui entourent la finance de marché entrent évidemment en résonnance avec le projet d’Union des marchés des capitaux (UMC) préconisé par le rapport des cinq Présidents. L’objectif est de favoriser le financement de l’économie par le marché, et notamment des PME encore trop dépendantes du système bancaire en Europe. Selon les auteurs dudit rapport, l’UMC constitue, aux côtés de l’Union bancaire, un pas de plus vers l’intégration financière indispensable à une union monétaire. Une plus grande diversification des sources de financement et un meilleur partage des risques à l’échelle de l’Union favorisent en effet la transmission de la politique monétaire et l’absorption des chocs asymé­triques. De plus, une meilleure complémentarité entre banques et marchés financiers accroît également la résilience du système financier à travers les différentes phases du cycle économique, quelle que soit leur amplitude. En somme, il s’agit là d’une réforme structurelle concrète en direction d’une croissance économique durable, tant à l’échelle domestique que de l’Union, qui ne demande aucun arbitrage budgé­taire mais une harmonisation des législations nationales et l’achèvement de la réforme financière.

De ce point de vue, l’Europe continue de se doter des textes législatifs qui lui permettront de mieux assu­rer la stabilité du système financier. Parmi ces initiatives, on peut citer l’entrée en vigueur prochaine de la directive MiFID II sur les marchés d’instruments financiers qui exige, entre autres, plus de trans­parence sur les transactions financières avec la création des organized trading facilities encadrant la négociation d’obligations et des produits dérivés. Notons également, l’adoption le 29 octobre 2015 du règlement relatif à la « transparence des opérations de financement sur titres et à la réutilisation » afin de permettre le suivi et l’évaluation des risques liés à la mise en pension et aux prêts de titres. Ensuite, il convient de souligner l’adoption du « paquet titrisation » proposé au mois de décembre 2015 à l’ECOFIN, sous présidence luxembourgeoise, afin de développer une titrisation « simple, transparente et standar­disée » (STS). Enfin, le projet de réforme des fonds monétaires et le projet de réforme structurelle des banques restent encore en négociation. Les enjeux sont importants à l’échelle européenne et nationale puisqu’il s’agit, d’une part, de se mettre d’accord sur l’avenir des fonds monétaires de type constant net asset value (CNAV) potentiellement exposés au risque de retraits massifs et d’autre part de définir le périmètre des activités de marché que les banques peuvent effectuer.

L’édition 2016 de la Revue de stabilité financière propose d’envisager ces différentes problématiques par le prisme de l’économie luxembourgeoise et notamment son système financier. Celle-ci révèle bien sûr son exposition à l’évolution de l’économie mondiale en tant que petite économie très ouverte mais également ses spécificités propres en termes de robustesse ou de vulnérabilités.

L’analyse de l’environnement macroéconomique, après avoir présenté le contexte international de manière détaillée, évalue les perspectives de croissance au Luxembourg ainsi que ses sous-jacents. On découvre une économie domestique au dynamisme certain qui se traduit par une croissance de l’emploi et des indicateurs de confiance en progression. De son côté, le marché immobilier continue de profiter de ces éléments favorables. Bien que les risques pour la stabilité financière d’une inadéquation des prix avec leurs fondamentaux économiques semblent à court terme contenus, l’étude plus approfondie de l’endettement des ménages et la concentration des crédits immobiliers au sein de quelques banques justifient la mise en œuvre de mesures adéquates dans ce domaine car souvent les effets des politiques ayant trait au marché de l’immobilier, en particulier en ce qui concerne l’atténuation des contraintes de l’offre, ne seront visibles qu’après plusieurs années.

Sur les marchés financiers, l’année 2015 aura été caractérisée par un retour graduel de la volatilité traduisant les nombreuses incertitudes concernant l’environnement macroéconomique mondial. En conséquence, l’indicateur mensuel de l’aversion pour le risque enregistre une légère hausse non loin de ses valeurs historiques. Toutefois, l’étude des indicateurs de l’attitude des investisseurs face au risque montre que les dernières décisions de politique monétaire au niveau mondial ont été favorablement accueillies par les marchés et ont permis une détente par rapport au mois de janvier 2016.

L’analyse du secteur financier au Luxembourg retrace les récentes évolutions des secteurs bancaires et des fonds d’investissement. Alors que ce dernier confirme son dynamisme, les établissements de crédit continuent leur mouvement de consolidation dans un environnement légal en constante évolution. De fait, l’actif total au niveau agrégé progresse peu malgré des marges d’intérêt et des revenus nets de commissions en progression. L’analyse du compte de pertes et profits révèle un accroissement des frais de personnel et d’exploitation. Néanmoins, l’amélioration des ratios de solvabilité et de liquidité traduit la progression de la résilience du secteur. Celle-ci est d’ailleurs confirmée par l’indicateur de vulnérabilité développé par la BCL et les tests d’endurance dont les scénarii sont fidèles à ceux adoptés par l’Autorité bancaire européenne (ABE) pour les tests d’endurance des banques en 2016.

Enfin, la revue propose dans une annexe une analyse basée sur une méthodologie innovante à travers l’adoption d’un modèle susceptible de capter le risque systémique dans le secteur bancaire. L’approche adoptée s’articule autour d’un scénario dans lequel les banques doivent alléger leur endettement suite à l’occurrence d’un choc sur leur portefeuille. Ce désendettement se traduit par des ventes d’actifs qui provoquent à leur tour une réaction en chaîne dans le système. Ce travail permet ainsi d’identifier la contribution de chaque entité et de chaque type d’instrument financier à l’émergence d’un risque systémique. Les simulations réalisées sur la base de ce scénario se focalisent, par ailleurs, sur les effets positifs de la mise en œuvre des recommandations du Comité de Bâle.

La Revue de Stabilité financière est disponible sur simple demande, dans la limite des stocks disponibles, auprès de la BCL (info@bcl.lu) et peut également être téléchargée sur le site internet de la BCL (www.bcl.lu).