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Epargne et Investissement: Déterminants et conséquences pour la croissance économique

Discours prononcé par Monsieur Yves Mersch, Président de la Banque centrale du Luxembourg,

à l'occasion de la Conférence Financial One 2003.

Luxembourg, le 15 mai 2003

Seule la Parole prononcée fait loi

Mesdames, Messieurs,

Le sujet dont j'ai à vous parler s'intitule : « épargne et investissement : déterminants et conséquences pour la croissance économique ». En guise d'une brève introduction deux remarques s'imposent : la première concerne le contenu de cette contribution. Dans la mesure où le sujet est tellement protéiforme, il m'est impossible, ne serait-ce que par le temps qui m'a été alloué, de le traiter dans son intégralité. La seconde remarque est un obstacle de taille. Elle est relative à l'absence de données statistiques sur l'épargne sectorielle au Luxembourg. En effet, le Luxembourg ne dispose pas de statistiques détaillées sur l'épargne par secteur économique (ménages, entreprises, Etat,…). L'absence de ces données résulte de l'inexistence de compte financier relatif à l'économie nationale. La construction d'un tel compte est une entreprise évidemment délicate ; elle nécessite le rassemblement de données collectées par différentes autorités ainsi que leur coopération, la mise en place de nouvelles procédures de collecte de données auprès des acteurs économiques et éventuellement des enquêtes auprès des ménages. A ce sujet, un projet d'établissement d'un compte financier pour le Luxembourg est en cours à la BCL. Les premiers résultats de ce processus seraient disponibles au cours de l'année 2005. Ceci permettra d'appréhender, d'une part les contours du circuit économique luxembourgeois, et d'autre part l'importance des transferts inter et intra-sectoriels.

Je vais essayer de dégager les grands traits de l'évolution de l'épargne nationale au Luxembourg depuis la fin de l'année 1995, année où notre pays a mis en place un système de collecte de données pour l'établissement du compte des opérations courantes de la Balance de paiements. Depuis l'année 2000, l'établissement de la balance des paiements s'opère sous la responsabilité conjointe de la Banque centrale du Luxembourg et du Statec.

En l'absence de données sur l'épargne, c'est par les biais de la balance de paiements et de comptes nationaux qu'on est en mesure d'extraire la tendance de cet agrégat.

Malgré ces problèmes de mesure de l'épargne nationale au Luxembourg et dans certaines mesures de l'investissement, les tendances à long terme de l'épargne et de la croissance semblent appuyer l'idée communément admise selon laquelle il existerait un cercle vertueux d'épargne et de croissance.

Les récentes recherches empiriques sur des données internationales ont apporté un nouvel éclairage sur les liens entre épargne, investissement et croissance. Nous nous en inspirerons pour tenter de répondre à quatre questions que je considère importantes pour notre économie :

  • Quelle est la relation entre la croissance économique et l'épargne nationale ?
  • Quel est le lien entre l'épargne et l'investissement ?
  • Est-ce que l'épargne nationale se traduit-elle en investissement intérieur ?
  • Et enfin quel est le rôle des taux d'intérêt dans l'ajustement des décisions d'épargne et d'investissement ?

La réponse à ces quatre questions n'est pas sans conséquence pour la définition d'une politique économique. Ainsi, si l'épargne entraîne la croissance parce qu'elle se transforme systématiquement en investissement alors la politique économique doit favoriser l'épargne. Toutefois, si l'investissement est dicté par d'autres facteurs que l'épargne, et si l'épargne est générée par l'investissement, alors la politique économique doit stimuler l'investissement. Ceci est d'autant plus vraisil'objectif assigné à la politique économique est dicté parla croissance et le plein emploi, et non pas par la satisfactiond'intérêts particuliers.

Pour commencer, il me semble qu'il n'est pas inutile de rappeler tout d'abord quelques définitions économiques des agrégats qui nous intéressent aujourd'hui, en l'occurrence l'investissement et l'épargne.

La définition de l'investissement, retenue par les économistes diffère sensiblement de la notion vulgarisée par la presse et/ou utilisée, quotidiennement, par le grand public. En effet, le public utilise des expressions qui font référence à l'investissement, mais qui couvrent des réalités différentes, telles que « j'ai investi en bourse » ou « mon entreprise a investi dans une nouvelle machine». Pourtant la première expression est impropre. Elle renvoie à des placements financiers. Tandis que la seconde recouvre la notion économique de l'investissement.

L'investissement est une opération économique fondamentale ; car c'est lui qui détermine l'accumulation de capital, considérée comme facteur essentiel de la croissance économique. C'est aussi l'investissement qui permet l'amélioration de la productivité du travail et le développement du progrès technique. C'est pourquoi, le sens le plus général de l'investissement consiste en la valeur de biens durables acquis par les unités de production pour être utilisés pendant au moins une année dans le processus de production. Autrement dit, c'est les flux qui alimentent le stock de capital existant.

Quant à l'épargne, elle est définie comme étant le revenu non-consommée. Cette définition simple couvre de multiples problèmes dès que l'on veut saisir les évolutions macro-économiques de cet agrégat. En effet, souvent l'épargne est assimilée dans l'esprit du public à la seule épargne des ménages. Or, d'un point de vue de la comptabilité nationale, l'épargne apparaît comme le solde du compte de revenu de différents secteurs, c'est-à-dire la différence entre le revenu disponible et la consommation finale. Ainsi, l'épargne des entreprises est équivalent à la capacité d'autofinancement ; tandis que l'épargne des ménages représente la somme de la formation brute de capital fixe (acquisition de logement) et l'épargne financière, composée de placements et avoirs liquides. De même, l'épargne publique est la somme de la valeur de l'investissement réalisé par les administrations publiques et de leur solde budgétaire.

1.   La relation entre l'épargne et la croissance économique

Examinons tout d'abord, la façon dont l'épargne a été extraite de l'identité bien-connue de la comptabilité nationale :

Dans une économie fermée, l'épargne nationale est obligatoirement égale à l'investissement. Nous verrons que, dans une économie ouverte l'épargne et l'investissement ne sont pas nécessairement égaux. Cela est dû aux répercussions du commerce extérieur de biens et de services sur le revenu national. Ainsi, l'identité de revenu national dans une économie ouverte s'écrit :

PNB = C + G + I+ (X-M)

PNB : Revenu national = PIB + revenus en provenance du reste du monde - revenus versés au reste du monde
C : Consommation privée
G : Dépenses de consommation publique
I : Investissements publics et privés
X-M : Le solde de la balance des opérations courantes de la balance des paiements

A partir de cette identité, il nous est possible d'extraire l'épargne nationale. Il faut simplement se rappeler que l'épargne nationale est égale à la différence entre le revenu national et la consommation privée et publique. Ainsi :

S = PNB - (C+G) = I+(X-M) avec S = Epargne nationale = Epargne publique + Epargne privée

Cette dernière équation souligne la différence majeure entre une économie ouverte et une économie fermée : une économie ouverte peut épargner soit en augmentant son stock de capital, soit en acquérant des avoirs extérieurs, mais une économie fermée ne peut épargner qu'en augmentant son stock de capital. Ainsi, une économie ouverte a plus d'opportunités, en matière d'investissement qu'une économie fermée car l'épargne d'un pays pouvant être empruntée par un autre pays afin d'accroître son stock de capital. C'est pourquoi, le surplus de la balance courante est souvent appelé l'investissement extérieur net.

Après ce bref rappel, j'aimerai m'attarder un peu sur le lien entre l'épargne nationale et la croissance économique. D'un point de vue empirique, croissance et épargne affichent souvent une corrélation positive. A ce sujet, le graphique 1 illustre cette relation pour le Luxembourg. Le coefficient de corrélation entre les deux agrégats est positif (0.305). Signalons toutefois que le niveau de ce résultat est relativement faible. Ceci s'explique probablement par l'importance du degré d'ouverture de l'économie luxembourgeoise. En effet, dans une économie ouverte, une partie de l'épargne nationale est investie à l'étranger. Ce mécanisme devrait se traduire, au moins à court terme, par une déconnexion entre la croissance économique et l'épargne nationale. Toutefois, la persistance d'une relation positive, mais relativement faible, entre les deux agrégats est un indicateur à l'imparfaite mobilité des capitaux.

D'un point de vue théorique, les économistes éprouvent des difficultés à identifier leurs liens avec précision. La théorie économique prédit que lorsque les ménages ont accès au crédit et tiennent compte de l'avenir pour leurs décisions de consommation et d'épargne, des variations passagères de revenus se traduisent habituellement par des fluctuations de l'épargne plus que par des changements de la consommation. Cependant, ce postulat théorique n'est pas confirmé de manière nette par les travaux académiques sur des données internationales. Autrement dit, l'épargne ne peut être qualifiée d'agrégat pro-cyclique, car elle ne suit pas fidèlement les fluctuations du revenu que la théorie prédit.

Graphique 1 : Les taux d'épargne nationale et de croissance du PIB au Luxembourg (1995-2003)1

 A titre indicatif, le graphique 2, illustre la relation entre le taux de l'épargne nationale et l'output gap2 sur la période 1995-2002. En dépit d'un taux de corrélation modérée (0.55) entre les deux variables, il subsiste une liaison positive entre le taux d'épargne et l'output gap. En effet, on peut constater une contraction du taux de l'épargne à certaines périodes de fléchissement de l'activité économique, caractérisée par un output gap négatif, et une tendance ascendante de l'épargne au cours de période de surchauffe de l'économie où le niveau du revenu effectif croît plus que le revenu potentiel.

L'absence d'une parfaite cyclicité de l'épargne n'exclue pas l'apparition de période où la trajectoire de l'épargne nationale serait en phase avec celle de l'output gap, telle qu'illustré par le graphique 2 pour le Luxembourg. A ce sujet, quelques remarques méritent d'être soulignées :

  • Les deux séries (épargne et investissement) affichent un taux de corrélation positif de 0.55. Ceci est synonyme d'une dynamique conjointe et dans le même sens des deux variables ;
  • Il est utile de remarquer que la dispersion des points reflète plus au moins trois périodes de relations entre l'épargne et l'investissement. Un premier groupe de point est centré à l'intersection des deux axes. Ceci est une indication du taux d'épargne au cours de périodes où le revenu national observé est équivalent au revenu potentiel. Le taux d'épargne affiché est canalisé dans un intervalle de +31% à 33% ;
  • Un second groupe de points prédomine. Il est caractérisé par des taux d'épargne relativement élevés en période d'output gap positif. Ainsi, en période de croissance économique forte, l'épargne nationale progresse d'une manière significative.
  • Enfin un dernier groupe est associé à un taux d'épargne élevé, mais aussi à un output gap largement négatif. Autrement dit, en période de fléchissement important de l'activité économique, le taux d'épargne affiche une hausse significative. Ceci s'explique probablement par l'incertitude des ménages quant aux prospectives économiques, qui les incite à privilégier l'épargne à la consommation. Autrement dit, l'épargne de précaution peut porter la responsabilité d'une épargne accrue en phase de fléchissement de l 'activité économique.

Graphique 2: Les taux d'épargne nationale et l'output gap au Luxembourg3 (1995-2002)

 Tournons-nous maintenant vers la relation entre le PIB tendanciel et l'épargne privée. Cette relation est plus pertinente du point de vue de la croissance sur le long terme. La plupart des études empiriques confirment que la progression du revenu réel a bien un effet positif sur l'épargne. Or, ces résultats ne sont pas conformes aux relations prédites par la théorie économique.

En effet, du point de vue de la théorie classique de la consommation, cette discordance est une énigme. Les deux principaux modèles de consommation, celui du revenu permanent (Friedman, 1957) et celui du cycle de vie (A. Aldo et F. Modigliani 1964), prévoient un effet négatif de la croissance sur l'épargne car les individus relèvent leurs perspectives de consommation en anticipant un revenu futur plus élevé.

Selon une hypothèse non conventionnelle mais qui rappelle un peu le raisonnement de la pensée classique, les ménages attachent de la valeur à la fois à la consommation et à la richesse. Une croissance plus forte améliore le patrimoine des ménages mais, comme consommation et richesse sont interchangeables, la consommation augmente moins que proportionnellement, ce qui fait progresser l'épargne.

Une seconde explication a recours à une sorte de causalité inversée : l'épargne est systématiquement transformée en accumulation de capital et par là en croissance. Ce processus est tout simplement le mécanisme qui est à la base de la corrélation positive entre épargne et croissance économique observée dans les faits. Or, selon les analyses empiriques cette explication est contestée ; car l'épargne suit et ne précède pas la croissance. Par conséquent, les partisans de ce schéma en concluent que la corrélation observée entre la croissance et l'épargne traduit au moins partiellement un lien de causalité inverse de la croissance à l'épargne, et que le raisonnement classique qui ne prend pas en compte cette endogénéité à deux sens, risque de surestimer la contribution de l'épargne à la croissance.

2.   L'épargne est-elle un préalable à l'investissement ?

Les vues divergent quant au principe selon lequel l'épargne doit être un préalable à l'investissement. Globalement, deux grands principes s'affrontent : le principe dit de sacrifice qui postule que l'épargne doit être préalable à l'investissement et le principe dit de dépense qui fait de l'épargne une conséquence de celle-ci.

Le premier principe suppose, dans une situation de plein-emploi des ressources, que les nations n'ont d'autres choix que d'épargner pour investir. Le choix s'avère donc intertemporel, le sacrifice du bien-être présent (diminution de la consommation) étant récompensé par un bien-être et un revenu supérieurs dans le futur.

Le second principe, bien qu'il maintienne la possibilité d'une épargne préalable, accorde un rôle stabilisateur au système bancaire. L'épargne spontanée qui apparaît en début d'une période d'analyse peut être affectée à l'investissement, soit « avortée » ou thésaurisée. La partie avortée, qui peut prendre la forme d'effet d'éviction par les investissements à l'étranger, entraîne une insuffisance de l'investissement interne, ce qui se traduit par une baisse des niveaux de prix à la consommation. Le rôle du système bancaire devient alors crucial. Par ses crédits, il doit combler le déficit de l'épargne nationale. Si la compensation est exactement égale à l'épargne avortée, il y aura une stabilité des prix, mais si le montant des crédits bancaires est plus élevé que l'épargne avortée, l'économie afficherait une accélération de l'inflation. Le retour à l'équilibre s'effectue par le mécanisme de l'encaisse réelle, dit effet de Pigou, qui conduit à une épargne forcée.

En dépit de ces divergences, la compréhension du mécanisme reflétant l'interaction entre l'épargne et l'investissement est nécessaire pour au moins deux raisons :

  • Comme on vient de le décrire dans la précédente section, il se peut que le lien entre l'investissement et l'épargne soit la clé explicative de la relation épargne-croissance.
  • Dans l'hypothèse où l'accumulation du capital est bien la locomotive de la croissance, comprendre l'interaction entre l'épargne et l'investissement est essentiel pour l'appréciation du postulat classique selon lequel l'accroissement de l'épargne est le moyen le plus approprié pour favoriser l'activité économique. Cette idée suppose implicitement que l'épargne supplémentaire de chaque pays se transforme totalement en une progression de la formation brut du capital fixe. Ainsi, dans une économie fermée, l'épargne nationale et l'investissement intérieur sont nécessairement égaux.

Or, les choses sont plus complexes dans une économie ouverte, tel que le Luxembourg, car les flux de capitaux entre pays rendent possible la divergence entre l'épargne nationale et le volume de l'investissement intérieur. L'épargne nationale n'est pas nécessairement utilisée pour l'investissement intérieur. Dans un monde caractérisé par une mobilité « parfaite » de capitaux, l'épargne de chaque pays se dirigera vers le pays qui offre le taux de rendement privé le plus attractif. Dans ce contexte, l'accroissement de l'épargne nationale se traduira par un excédent de la balance des paiements courants ou une diminution des déficits afférents, plutôt que par une progression de l'investissement intérieur et par ricochet par une hausse de la croissance économique.

Toutefois, ce raisonnement est à relativiser car les travaux empiriques révèlent une forte corrélation positive, à long terme, entre l'investissement et l'épargne. Selon Obstfeld (1986), le pourcentage de l'épargne et de l'investissement ne peuvent guère diverger à long terme, particulièrement si le rapport des actifs étrangers au PIB est stable. La véracité de cette dernière hypothèse permet d'expliquer la forte corrélation entre l'épargne nationale et l'investissement intérieur.

Au cours de la période 1995-2003 (voir table 1), l'épargne nationale et l'investissement intérieur au Luxembourg sont relativement fluctuants. Leurs niveaux oscillent dans un intervalle beaucoup plus large que celui observé dans la zone euro au cours de la période 1995-2001. En effet, les oscillations des parts de l'épargne et de l'investissement dans le PIB au Luxembourg varient, respectivement, de 30-36% et de 21-25%, tandis que celles de la zone euro sont limitées dans un intervalle de 21-22% pour l'épargne et de 20-21 pour l'investissement. L'étendue des fluctuations qui caractérisent ces deux agrégats au Luxembourg est un facteur de cyclicité macro-économique. Ceci tiendrait au fait que la variabilité de l'investissement affecte automatiquement la dispersion de la croissance.

Table 1 : L'investissement et l'épargne au Luxembourg et dans la zone euro en % du PIB.

Zone euro**    Luxembourg***
Année  Epargne  FBCF(1)  FBCF    Epargne nationale  Epargne Privée  Epargne Publique

1995

21.6

20.7

22.58

36.47

31.20

5.27

1996

21.2

20.0

22.27

34.99

29.95

5.04

1997

21.8

20.0

23.19

34.21

28.32

5.89

1998

21.9

20.6

23.42

32.82

26.66

6.15

1999

21.8

21.0

24.43

33.38

26.93

6.44

2000

22.0

21.4

20.06

34.03

25.19

8.84

2001

21.7

21.0

22.53

31.72

24.18

7.54

2002

n.a

n.a

22.05

31.45

25.47

5.97

2003*

n.a

n.a

21.52

30.52

26.96

3.56

 *Les données relatives à l'année 2003 sont prévisionnelles.
** source : Bulletin mensuel de la BCE, août 2002.
*** source : extrait à partir de l'identité PNB = C+I+G+(X-M) et des comptes nationaux.
(1) Formation brute du capital fixe

3.   L'investissement et la croissance économique

D'un point de vue théorique ainsi qu'empirique, le lien entre l'investissement intérieur brut et le taux de croissance sur le long terme est bien établi. Néanmoins, la question relative au lien entre ces deux variables mérite d'être circonstanciée dans la conduite d'une politique économique.

Pour mesurer les effets de l'investissement sur la croissance, il est nécessaire de distinguer les conséquences de long terme et de court terme.

A long terme, l'investissement accroît la capacité de production et/ou la productivité du capital employé et permet ainsi une progression de la richesse du pays.

A court terme, la relation entre investissement et croissance passe par les mécanismes du multiplicateur et de l'accélérateur. Une augmentation des investissements entraîne une croissance des revenus, en vertu de l'effet multiplicateur, et donc une augmentation de la demande agrégée. Cette demande supplémentaire provoque un besoin de capital nouveau qui se traduit alors par des investissements (effet accélérateur). La combinaison de ces effets peut provoquer une croissance économique régulière ou des comportements cycliques. C'est le fameux modèle de l'oscillateur de Samuelson.

L'investissement exerce un effet important sur la conjoncture. La décomposition de la croissance du PIB permet de rendre compte de l'effet de l'investissement sur la croissance. Pour cela il suffit d'exploiter l'identité comptable précédente.

La contribution de chaque facteur à la croissance du PIB est alors le produit de son taux de croissance par son poids dans le PIB. L'application de cet exercice au Luxembourg révèle que la contribution de l'investissement, par rapport aux autres composantes, est relativement moins importante ; néanmoins l'étendue de ses variations [-2% à +7%], telle qu'illustrée par le graphique 3, représente un facteur explicatif important des fluctuations de la croissance économique au Luxembourg. A priori, le maintien d'un rapport plus au moins stable de l'investissement par rapport au PIB se traduirait par une plus grande stabilité économique. Cette condition apparaît nécessaire, mais elle reste insuffisante, car une croissance régulière dépend non seulement de l'accumulation du capital physique, mais aussi d'autres facteurs, tels que le capital humain, l'utilisation efficace des ressources, …

Graphique 3: Contribution de l'investissement à la croissance du PIB : 1986-2003

 Tenter de stabiliser la croissance économique par le canal de l'investissement soulève d'autres interrogations, parmi lesquelles le caractère perturbateur d'une relance par l'investissement et la nature de l'investissement, c'est-à-dire que l'action envisagée est destinée à stabiliser l'investissement privé ou celui émanant de l'autorité publique. La réponse à cette question n'est pas aussi simple, car l'investissement privé, en dehors des incitations fiscales étatiques, dépend de la rentabilité attendue, du risque et du taux d'intérêt.

Logiquement, la seule variable d'action directe qui s'offre à l'Etat est l'investissement public. Toutefois, j'avoue que je ne suis pas vraiment convaincu de l'efficacité totale de cet instrument pour deux raisons : la première est liée aux difficultés de la mise en oeuvre de cet outil à des fins anticycliques,en raison principalement des délais de plus en plus longs entre la planification et la mise en oeuvre de l'investissement ; tandis que la seconde est relative à la contribution de l'investissement public à la croissance. Celle-ci est caractérisée par une plus grande stabilité que la contribution de l'investissement privé (voir graphique ci-dessous). De 1991 à 2002, la contribution de l'investissement privé à la croissance varie de -3% à +5%, tandis que la contribution de l'investissement public fluctue dans un intervalle régulier de + ou - 1%. Ceci dit, il est bien vrai qu'en présence de fluctuations opposées des deux catégories de l'investissement (privé et public), la croissance économique serait moins sujette aux fluctuations conjoncturelles de l'investissement privé.

Graphique 4: Contribution des investissements publics et privés à la croissance du PIB : 1991-2002

 J'ai souligné, précédemment, le rôle des taux d'intérêt comme facteur explicatif de la variation de l'investissement privé. Ceci me fournit l'occasion d'attaquer le dernier point de mon exposé qui est dédié au rôle des taux d'intérêt dans la réconciliation des décisions d'épargne et d'investissement.

4.   Le rôle des taux d'intérêt dans la réconciliation de l'épargne et de l'investissement.

Souvent, lorsque les économistes évoquent la place des taux d'intérêt dans la réalisation de l'équilibre macro-économique, ils songent en premier lieu à l'action qu'ils exercent dans l'allocation inter-temporelle des ressources. Ce qui revient à essayer de comprendre dans quelle mesure leurs évolutions permettent d'obtenir une égalisation entre l'épargne et de l'investissement. Il nous faut donc revenir sur les arguments relatifs à la sensibilité des décisions d'investissement et de l'épargne aux taux d'intérêt.

Pour l'investissement, il est d'usage de distinguer entre les investissements en logement d'un côté et la demande de capital productif du secteur privé d'autre part.

Pour l'investissement en logement, les travaux empiriques convergent pour reconnaître sa forte sensibilité aux fluctuations des taux d'intérêt. Ceci est la résultante d'un effet bien connu : le volume d'endettement maximum d'un ménage est défini par le montant des charges financières qui ne peut excéder un certain pourcentage de son revenu disponible. Dès lors, les variations du taux d'intérêt affectent directement la solvabilité des emprunteurs potentiels, donc le niveau de la demande de crédit. Ainsi, l'évolution des taux d'intérêt exerce une influence mécanique sur le niveau de l'investissement des ménages. Dans ce cadre et à titre illustratif, le graphique 5 illustre à la fois la relation entre les taux d'intérêt à court terme observés sur le marché monétaire, le taux d'intérêt moyen des crédits hypothécaires pratiqués par les établissements de crédits et le volume des crédits nouvellement accordés pour le secteur résidentiel au Luxembourg. Il faut souligner qu'un simple calcul révèle une corrélation négative de -0.16 entre les taux d'intérêt à court terme observés sur le marché monétaire et le volume de crédits. L'intensité de la relation entre les taux d'intérêt hypothécaire moyen et le volume de crédits et plus importante (-0.35). Ceci est la résultante d'une répercussion lissée des variations des taux d'intérêt directeurs sur les taux des crédits nouvellement accordés.

Graphique 5: Les taux d'intérêt et le volume des crédits nouvellement accordés au secteur résidentiel : 1996-2002

 Pour les investissements productifs, l'action des taux d'intérêt est plus complexe à analyser et plus délicate à apprécier. C'est ce qui explique l'opposition entre les résultats de travaux empiriques. En effet, si l'on en juge par les estimations économétriques publiées, il apparaît évident que la sensibilité de l'investissement aux taux d'intérêt est faible4. Plus généralement, il apparaît relativement insensible à la majorité des variables financières, à l'exception du niveau des profits (c'est-à-dire à l'épargne des entreprises) et que les économistes ont quelques difficultés à le différencier de l'effet classique d'accélérateur ou des effets liés au rationnement des crédits, particulièrement pour les petites entreprises.

Ceci dit, un certain nombre d'autres arguments laissent à penser que l'effet des taux d'intérêt sur l'investissement n'est pas aussi faible que l'affirment les travaux empiriques. Tout d'abord, parce que les estimations économétriques ne tiennent pas compte des contraintes de rationnement des crédits pratiquées par les établissements de crédits, particulièrement à l'égard des petites entreprises. Il n'est donc pas étonnant que l'influence des taux soit difficile à mettre en évidence. D'autre part, le fait que les établissements de crédit ne répercutent la baisse des taux d'intérêt directeurs qu'avec un délai, les effets des taux d'intérêt sur l'investissement ne peuvent être observés qu'avec un retard dont l'étendue dépend du comportement des banques. A ce sujet, l'étude G. de Bondt (2002)5 révèle que près de 50% de la baisse des taux d'intérêt directeurs de l'Eurosystème n'est répercutée sur les crédits aux entreprises qu'avec un mois de retard. Quant aux taux d'intérêt associés aux crédits à la consommation, leurs ajustements aux conditions du marché monétaire sont beaucoup plus lents.

En dépit de ces contraintes, le processus actuel d'une plus grande intégration des marchés financiers européens va conduire à l'élargissement de la gamme des actifs sur lesquels les agents économiques pourront prendre position, mais aussi à des possibilités d'arbitrages beaucoup plus importantes. Le choix entre actifs financiers et réels se poseront de façon plus sensible. L'accroissement des substitutions possibles entre actifs financiers va conduire à un clivage plus marqué entre ceux-ci, d'un côté, et les actifs réels, de l'autre. Autrement dit, il s'agit d'un choix entre l'investissement physique et le placement financier. Dans ce cadre, la théorie du Q de Tobin6 fournit un mécanisme par lequel la variation des cours des actions affecte le comportement d'investissement des entreprises. Le Q de Tobin est défini comme étant la valeur de marché d'une entreprise rapportée au coût de remplacement de son capital. Lorsque le Q baisse pour l'ensemble des entreprises, celles-ci ne vont pas investir car leur valeur du marché est inférieure au coût du capital. Une stratégie qui consiste à racheter une entreprise existante est moins coûteuse qu'une stratégie qui consiste à créer de nouvelles entreprises et à investir en capital. Ainsi, un choc à la baisse sur le marché boursier réduit les valeurs de marché des entreprises et par conséquent les valeurs des Q de Tobin. Ceci se traduit par une baisse de l'investissement et potentiellement par une vague de rachats d'entreprises. De manière symétrique, un choc à la hausse sur le marché boursier se traduit par une progression des valeurs des entreprises et par conséquent des valeurs des Q de Tobin. Cela signifie que les perspectives de profits sont favorables (la hausse des titres est supposée refléter des profits anticipés). Il est alors plus rentable d'acheter des actifs réels (investissement économique).

Il faut souligner, par ailleurs, que l'influence des taux d'intérêt sur les situations des entreprises et sur leurs investissements ne se concrétise pas seulement dans la comparaison entre le coût du capital et la rentabilité des projets envisagés. L'évolution des taux s'applique aussi à l'ensemble du stock émis à des taux variables. Ce ne sont pas seulement les nouveaux emprunteurs qui sont concernés, mais également les entreprises endettées. Et, ce ne sont pas uniquement les projets d'investissement qui peuvent être remis en cause, mais aussi la solvabilité d'un certain nombre d'entreprises. Ainsi, l'investissement peut se trouver affecté au terme d'un enchaînement plus puissant que celui que l'on décrit partiellement par une simple fonction d'investissement. Il est clair que les entreprises les plus endettées sont beaucoup plus sensibles aux fluctuations des taux d'intérêt que les entreprises les moins endettées. De même, cet effet peut toucher d'une manière semblable les jeunes entreprises ou celles dites à capital-risque qui sont susceptibles d'en faire les frais sans que cela résulte d'une mauvaise gestion ou d'une insuffisance de rentabilité, puisque ces entreprises jeunes ont généralement un accès plus difficile aux sources de financement externes. Quoi qu'il en soit, les niveaux des taux d'intérêt actuels au sein de la zone euro sont relativement bas rendant ces derniers effets invraisemblables, en particulier si les établissements de crédits adoptent un ajustement systématique des coûts de crédits à la clientèle à leurs conditions de refinancement.

Tournons-nous maintenant à l'analyse de la relation entre l'épargne et le taux d'intérêt. Sur ce point également, des incertitudes persistent. D'un point de vue théorique, on sait que l'évolution des taux d'intérêt exerce sur la consommation deux effets :

Un effet de substitution dont il est facile de rendre compte. La variation des taux d'intérêt incite les ménages à réviser l'allocation de leurs dépenses dans le temps. Par exemple, une augmentation des taux d'intérêt doit les conduire à substituer de la consommation future à la consommation présente. C'est-à-dire qu'elle doit provoquer une progression de l'épargne.

L'effet revenu, quant à lui, est un peu délicat à analyser. Son incidence varie selon les positions individuelles. Un emprunteur est naturellement désavantagé par une augmentation des taux d'intérêt. Par rapport à son plan de dépenses, le niveau de ses ressources actualisées se dégrade, et il doit, en principe, réduire sa consommation. A l'opposé, un agent en situation de prêteur se trouve avantagé par la hausse des taux d'intérêt. L'amélioration de ses ressources futures l'autorise et l'incite à consommer aujourd'hui une proportion plus importante de son revenu. D'une manière agrégée, les ménages sont des prêteurs nets (effet revenu positif) ; tandis que les entreprises sont des emprunteurs nets (effet revenu négatif).

Au total, la conjonction de tous ces effets est théoriquement ambiguë, et les observations empiriques ne permettent pas de conclure de façon satisfaisante.

Ceci me fournit l'occasion de rappeler qu'au delà de ces questions empiriques, les phases d'instabilité des prix et d'inflation vécues, par le passé, furent des périodes de taux d'intérêt réels très faibles ou même négatifs. C'est-à-dire que ces périodes se sont caractérisées par un important transfert de revenus des épargnants vers les emprunteurs de capitaux. Or, le maintien d'une stabilité des prix associée à des taux d'intérêt réels positifs a inversé l'effet de levier en faveur des prêteurs. Dans ce contexte, la sauvegarde de la rentabilité financière des emprunteurs est conditionnée par l'amélioration de leurs rendements économiques.

5.   Conclusion

Nous avons constaté au cours de cet exposé que la théorie économique a des difficultés à apporter des réponses nettes aux questions pratiques qui préoccupent les autorités monétaires ou les pouvoirs publics. Ces difficultés sont dues, sans doute, à la complexité du monde dans lequel nous vivons.

Toutefois, sur la base des résultats empiriques internationaux et des tendances affichées de la relation entre l'épargne, l'investissement et la croissance économique sur des données luxembourgeoises, bien qu'elles soient très limitées, je présume que l'épargne et l'investissement expliquent certainement une grande partie de la performance de l'économie grand-ducale au cours de ces dernières années.

Et pour conclure, je ne peux que dire que l'épargne d'aujourd'hui fera l'investissement de demain et la croissance et l'emploi d'après-demain.

Je vous remercie de votre attention.