Prince Henri Auditoire 02 BW

Le rôle des Banques centrales en matière de contrôle prudentiel

22.03.2001

Introduction

Dans dix des douze pays de la zone euro, les banques centrales nationales (BCN) sont soit directement chargées de la surveillance bancaire, soit étroitement engagées dans cette activité. La présente note a pour objet d'exposer les arguments favorables au maintien du rôle essentiel des BCN de la zone euro en matière de contrôle prudentiel. Après avoir donné un aperçu du débat qui s'est engagé dans plusieurs pays de la zone euro (Section 1), la présente note présente les arguments qui sont habituellement invoqués en faveur et en défaveur de la séparation entre l'activité de banque centrale et la surveillance bancaire (Section 2). La note passe ensuite en revue ces différents points, considérés du point de vue de l'Eurosystème (Section 3).

1.   Le débat au sein de la zone euro

Après les modifications mises en Âœuvre au Royaume-Uni, un certain nombre de propositions visant à instaurer une autorité de surveillance unique, chargée de contrôler l'ensemble des intermédiaires et des marchés financiers, ont été présentées dans plusieurs pays de la zone euro. Dans certains États, des aménagements ont récemment été apportés au cadre institutionnel tandis que dans d'autres pays, le débat est en cours.

Au Luxembourg, la Commission de surveillance du secteur financier, créée en 1998, assume des missions de surveillance s'étendant à l'ensemble des intermédiaires et des marchés financiers, à l'exception des compagnies d'assurance. Il n'existe aucune relation institutionnelle, ni d'accords officiels régissant la coopération bilatérale avec la Banque centrale du Luxembourg.

Aux Pays-Bas, l'importance croissante des conglomérats financiers et la diffusion d'instruments financiers hybrides ont été perçues comme des défis pour le dispositif de surveillance, fondé sur trois autorités sectorielles chargées de contrôler, respectivement, les banques (De Nederlandsche Bank), les maisons de titres et les compagnies d'assurance. Un Conseil des autorités de surveillance du secteur financier, institué en juillet 1999, est l'émanation des trois organes sectoriels. Il ne s'agit pas d'un organisme de surveillance distinct. Il a pour mission d'assurer une meilleure coordination des politiques ayant trait à des domaines intersectoriels importants, tels que la surveillance des conglomérats, la diffusion d'informations aux consommateurs et les questions relatives à l'intégrité (par exemple l'aptitude à la gestion et la compétence des dirigeants). Au sein du Conseil, les trois autorités sectorielles publient des règlements de concert ou conseillent le ministre des finances sur ces questions intersectorielles. Si l'évolution du secteur financier met en évidence la nécessité de nouvelles approches intersectorielles, le Conseil s'occupe également de ces questions.

Au Portugal, en raison principalement de l'importance croissante des conglomérats financiers et de la nécessité d'élaborer des politiques et des pratiques similaires en ce qui concerne les autres questions d'intérêt commun, un Conseil national des autorités de surveillance du secteur financiera été mis en place en septembre 2000. Son cadre juridique ne modifie en aucune manière les compétences des autorités de surveillance sectorielles – le Banco de Portugal, la Commission des opérations de Bourse et l'Institut portugais de l'assurance. Ce Conseil a pour mission d'assurer des échanges d'informations à intervalles plus réguliers et de renforcer la coordination entre les autorités sectorielles. En outre, il est chargé de promouvoir la réglementation et les pratiques en matière de surveillance des conglomérats financiers, d'élaborer des projets de normes sur des questions intersectorielles et de proposer des mécanismes de coopération avec des autorités de régulation et des organismes étrangers. Eu égard au rôle que la BCN joue dans le domaine de la stabilité du système financier, le Conseil est présidé par le gouverneur du Banco de Portugal.

Ces derniers temps, le débat sur les structures de surveillance bancaire s'est intensifié en Allemagne, où le ministre des finances a annoncé une réforme prévoyant la création d'une agence fédérale unique, responsable de la surveillance du secteur bancaire, des marchés de valeurs mobilières et des compagnies d'assurance. Bien que ce projet ait été assorti d'un appel en faveur d'une coopération approfondie entre la nouvelle autorité unique et la Deutsche Bundesbank, l'incidence sur la participation de cette dernière aux activités de contrôle prudentiel reste à déterminer. La Deutsche Bundesbank a plaidé en faveur d'un rôle accru en matière de contrôle prudentiel, soutenant aussi une intégration complète de la surveillance bancaire dans la BCN. Une telle intégration nécessiterait toutefois une structure organisationnelle et de décision plus efficace et allégée au sein de la Deutsche Bundesbank.

À l'inverse, un projet visant à renforcer le rôle de la BCN en matière de supervision a été annoncé récemment en Belgique, où le ministre des finances a rendu publique une proposition visant à intégrer la Commission bancaire et financière (CBF) dans la Banque Nationale de Belgique. La CBF demeurerait une entité juridique distincte, mais les organes de décision des deux institutions se chevaucheraient partiellement et certaines ressources, humaines et autres, seraient mises en commun (en particulier, les services ou départements chargés des études, des activités internationales et de l'analyse macroprudentielle pourraient être fusionnés). Ce rapprochement institutionnel conduirait à une situation s'orientant vers le modèle français. Cependant, le gouverneur de la Banque Nationale de Belgique ne présiderait pas la CBF.

En Irlande, l' Implementation Advisory Group on the establishment of a Single Regulatory Authority (Groupe consultatif pour l'institution d'une autorité unique de surveillance bancaire) a publié en 1999 un rapport préconisant l'adoption de dispositions analogues à celles qui sont en vigueur au Royaume-Uni. Le document prévoyait la création d'une nouvelle autorité exerçant des compétences s'étendant à l'ensemble du secteur financier et le désengagement de la Central Bank of Ireland de toute responsabilité directe en matière de surveillance. A l'issue d'un long débat, le gouvernement a récemment pris une décision à ce sujet. En vertu de cette décision, un organe unique de régulation du secteur financier, qui sera créé au sein d'une Central Bank of Ireland restructurée, sera notamment chargé des questions relatives au contrôle prudentiel et à la protection des consommateurs. Les textes d'application de cette décision entreront en vigueur en temps voulu.

En Finlande, des propositions ont été faites en vue de créer une agence unique assumant des missions de surveillance couvrant l'ensemble des institutions financières et des marchés. Un comité ad hoc a été chargé de procéder à une analyse plus approfondie. Il doit soumettre ses conclusions au gouvernement après l'été.

En Autriche, le ministre des finances a informé, en janvier 2001, le conseil des ministres de son projet visant à instituer une nouvelle autorité de surveillance indépendante et distincte de la BCN, qui aurait la responsabilité de l'ensemble des institutions financières. Une proposition devrait être présentée au parlement d'ici à la mi-avril 2001. Il n'existe pas, semble-t-il, de consensus politique sur la forme institutionnelle de la nouvelle autorité, et notamment sur le degré de participation de la BCN.

2.   L'activité de banque centrale et le contrôle prudentiel : vue d'ensemble des arguments

Les fonctions de surveillance impliquent une multitude de tâches qui peuvent être réparties en trois catégories : (a) les activités de protection des investisseurs, qui consistent essentiellement à édicter et à mettre en application les règles régissant l'intégrité des dirigeants et l'information des clients ; (b) la surveillance microprudentielle, comprenant l'ensemble des activités ayant trait au contrôle sur dossier ou sur place de la sécurité et de la solidité des diverses institutions financières, et qui vise en particulier à protéger les déposants et les autres petits créanciers ; (c) l' analyse macroprudentielle, qui comprend l'ensemble des activités menées en vue de suivre l'exposition au risque systémique et d'identifier les menaces potentielles que l'évolution macro-économique et des marchés de capitaux ainsi que les infrastructures de marché font peser sur la stabilité. Alors que cette dernière catégorie de tâches est accomplie, d'une certaine manière, par l'ensemble des banques centrales, les activités liées à la protection des investisseurs, notamment sur les marchés des valeurs mobilières, font rarement partie de leurs missions. Pour les agences de surveillance distinctes, c'est en général l'inverse qui prévaut, en ce sens que la priorité accordée à la protection des investisseurs va habituellement de pair avec un rôle mineur dans la surveillance du risque systémique. La question cruciale qui se pose lorsqu'il s'agit de définir le cadre institutionnel le plus efficace est celle de l'exercice de la surveillance microprudentielle qui, pour la plupart des banques centrales, est strictement liée à la question du risque systémique, alors que les agences distinctes lui donnent une interprétation axée sur la protection des déposants et des investisseurs.

2.1.   Les arguments en faveur de l'intégration

Les arguments en faveur de l'intégration du contrôle prudentiel dans l'activité de banque centrale peuvent être regroupés en trois catégories principales : (1) synergies d'information entre les fonctions de surveillance et les missions fondamentales de la banque centrale  ; (2) accent particulier sur le risque systémique  ; (3) indépendance et expertise technique.

L'argument ayant trait aux synergies d'information souligne l'importance que les informations confidentielles collectées à des fins de contrôle prudentiel peuvent avoir pour la surveillance des systèmes de paiement et la vérification de la sécurité des autres infrastructures de marché, qui sont essentielles pour la bonne conduite de la politique monétaire. L'accès de la banque centrale aux informations prudentielles, en particulier celles relatives aux intermédiaires susceptibles d'alimenter un risque systémique, est également essentiel pour la mise en Âœuvre de la surveillance macroprudentielle. Certaines analyses de la situation aux États-Unis fournissent des données empiriques confortant l'opinion selon laquelle les informations microprudentielles permettent d'affiner les estimations relatives à l'activité économique et à d'éventuelles tensions inflationnistes, facilitant ainsi le choix d'une orientation plus appropriée pour la politique monétaire. En outre, si une crise survenait sur les marchés de capitaux, la banque centrale serait inévitablement concernée. Des éléments d'information d'origine prudentielle revêtent une importance capitale lorsqu'il s'agit par exemple de déterminer si une banque à court de liquidités sollicitant la fourniture de liquidités d'urgence est solvable, dans la mesure où ils permettent de limiter l'aléa moral. On pourrait certes soutenir que les informations pertinentes pourraient être obtenues indirectement par l'agence de surveillance distincte. Mais en l'occurrence, la disponibilité des éléments d'information et la capacité de les interpréter pourraient ne pas être garanties, notamment en situation de crise.

Les synergies d'information jouent également dans l'autre sens, dans la mesure où les informations de la banque centrale concernant l'évolution des marchés monétaire et financier et celles provenant des systèmes de paiement et des opérations de politique monétaire sont extrêmement utiles pour l'accomplissement des missions de surveillance. Le Système de Réserve fédérale des États-Unis, par exemple, a souligné l'importance du fait que, depuis que la banque centrale est elle-même un acteur du marché, elle interagit spontanément avec les institutions financières privées. Cet élément est une source d'informations importante. Les contacts avec les principaux intermédiaires qui jouent un rôle prépondérant sur le marché sont utiles pour obtenir rapidement des informations significatives sur les grandes tendances et sur les sentiments du marché, tels que l'évolution de la liquidité, ainsi que sur les préoccupations éventuelles des intervenants du marché. Ces informations complètent celles obtenues dans l'accomplissement des missions de surveillance. En outre, les intervenants du marché pourraient faire montre d'une plus grande disposition à communiquer avec une banque centrale agissant à ce titre, car ces contacts s'opéreraient en dehors du cadre du contrôle formel.

L'argument relatif au risque systémique se fonde sur l'étroite relation existant entre le contrôle prudentiel de chaque intermédiaire et l'évaluation des risques pesant sur l'ensemble du système financier. Même dans les pays ayant instauré une séparation entre la surveillance bancaire et l'activité de banque centrale, comme par exemple au Royaume-Uni, au Japon et au Canada, la banque centrale exerce des compétences incontestées dans le domaine de la stabilité systémique. En mettant l'accent sur cette dernière, les banques centrales sont en mesure de mieux apprécier non seulement la probabilité et l'incidence potentielle des chocs macroéconomiques ou des perturbations sur les marchés financiers nationaux et internationaux, mais aussi l'action de facteurs affectant de concert la stabilité des groupes d'intermédiaires. Par ailleurs, une autorité distincte dont les missions sont davantage axées sur la protection des investisseurs est davantage susceptible de focaliser son attention sur les relations entre chaque intermédiaire et sa clientèle (selon la Financial Services Authority (FSA) du Royaume-Uni, ces activités représentent environ 70 % des heures de travail de son personnel). En outre, en concentrant leur analyse sur les préoccupations d'ordre systémique, les banques centrales pourraient être plus enclines à accepter la défaillance d'un intermédiaire, du moins lorsque celle-ci n'est pas de nature à provoquer une réaction en chaîne, limitant ainsi le phénomène d'aléa moral. Par ailleurs, des conflits pourraient survenir lorsque les fonctions microprudentielles sont exercées concurremment avec les activités liées à la protection des investisseurs. Ainsi, l'organisme de surveillance pourrait être tenté de s'écarter de sa fonction de garant de l'exactitude des informations diffusées par les sociétés cotées si elles révélaient la situation réelle d'un intermédiaire en difficulté, et cela dans l'espoir de gagner du temps pour gérer la crise.

L'argument ayant trait à l'indépendance et à l'expertise met en évidence la qualité de la contribution que les banques centrales peuvent apporter à la stabilité du système financier. L'indépendance de l'autorité de surveillance vis-à-vis d'interférences de nature politique est importante pour assurer une surveillance efficace. Cela est vrai en particulier dans certains pays émergents, où ce qu'on appelle les « policy loans », à savoir les prêts consentis sous la pression officielle ou officieuse des pouvoirs publics, sont encore une réalité. D'une manière plus générale, la législation, les règlements ou les actes des administrations publiques pourraient interférer avec les choix entrepreneuriaux des intermédiaires financiers. Dans de tels cas, lorsque les intermédiaires connaissent des difficultés en raison des signaux trompeurs qui leur ont été données, les pressions visant à les renflouer pourraient être très fortes. L'indépendance de la banque centrale pourrait protéger l'autorité de surveillance d'une interférence extérieure excessive, ainsi que du risque d'« emprise réglementaire » (regulatory capture) de la part des entités contrôlées. Bien que les données empiriques doivent être interprétées avec prudence dans ce domaine, il existe certains éléments confortant la thèse selon laquelle la résolution des crises repose plus souvent sur des fonds privés lorsque la banque centrale est chargée de la surveillance. La nécessité de doter les autorités de surveillance d'un degré satisfaisant d'indépendance opérationnelle est également soulignée dans les Principes fondamentaux pour un contrôle bancaire efficace énoncés par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire. Bien évidemment, l'indépendance ne doit pas être interprétée comme une absence de responsabilités vis-à-vis du public. Elle n'est pas non plus incompatible avec le rôle joué par les gouvernements en cas de crise lorsqu'il est fait appel aux deniers publics. Un autre argument en faveur du regroupement de l'activité de banque centrale et de la surveillance bancaire est le fait qu'il est généralement admis que les banques centrales produisent d'excellentes études et analyses sur les systèmes bancaire et financier. Au fil des années, elles ont acquis de vastes connaissances sur la structure et le fonctionnement du système financier national, qui sont sans cesse renouvelées grâce à leur présence active sur les marchés de capitaux.

2.2.   Arguments en faveur de la séparation

Trois arguments sont fréquemment avancés en faveur de l'attribution de pouvoirs de surveillance étendus à une agence unique ne ressortissant pas aux banques centrales : (1) le risque de conflits d'intérêts entre la surveillance et la politique monétaire, et l'aléa moral  ; (2) l'émergence de conglomérats financiers et l'atténuation des distinctions entre produits financiers et entre institutions financières ; et (3) la nécessité d'éviter une concentration excessive de pouvoirs dans les mains des banques centrales.

L' argument du conflit d'intérêts tient à la possibilité qu'une préoccupation d'ordre prudentiel quant à la fragilité du système bancaire puisse amener la banque centrale à adopter une politique monétaire plus accommodante que ne l'exige l'objectif de stabilité des prix. L'argument fondamental est que, en maintenant la stabilité des prix, la banque centrale promeut de facto la stabilité financière ; elle devrait donc se concentrer uniquement sur l'objectif de maintien de la stabilité des prix. Ce faisant, elle ne prendrait en compte l'instabilité financière que dans la mesure où celle-ci influencerait les perspectives d'inflation. L'argument, dans son sens le plus fort, implique que toute considération explicite du risque d'instabilité financière par une banque centrale déstabiliserait l'économie en raison de l'aléa moral induit. Afin de mener à bonne fin cette mission spécifiquement axée sur la lutte contre l'inflation, la banque centrale ne devrait pas avoir de compétences exclusives, ni même partagées, dans le domaine de la surveillance. La pertinence empirique du conflit d'intérêts peut toutefois être mise en doute : une fragilité généralisée des banques et de leurs contreparties devrait normalement être constatée dans des conditions où les risques pesant sur la stabilité des prix sont orientés à la baisse, de sorte que le conflit d'intérêts est plus apparent que réel. De plus, s'il existe un conflit entre les deux fonctions, il est peu probable que celui-ci se dissipe simplement parce que ces missions seraient confiées à deux autorités distinctes. En fait, dans ces cas, des structures de coordination complexes regroupant la banque centrale, l'autorité de surveillance et le ministère des finances sont généralement en place, ce qui peut rendre la coordination entre les deux objectifs plus difficile. Un forme différente de conflit d'intérêts peut exister lorsque l'exercice de la surveillance, particulièrement une présomption de faute en situation de crise, peut s'avérer néfaste à la réputation des banques centrales, ce qui compromettrait également leur crédibilité en tant qu'autorités monétaires.

L' argument connexe de l' aléa moral allant dans le sens de la séparation a trait au rôle des banques centrales dans la gestion des crises, qui découle de leurs responsabilités en matière de surveillance. Cette situation serait prétendument de nature à alimenter l'aléa moral, se traduisant par la prise de risques excessifs par les entités sous surveillance, qui pourraient supposer que la banque centrale se porterait à leur aide à travers la fourniture de liquidités d'urgence (FLU) (ou en modifiant les taux d'intérêt), cherchant éventuellement aussi à couvrir un manquement dans la fonction de supervision. Cependant, l'assistance par la FLU s'effectue de préférence contre des garanties appropriées et à un taux d'intérêt normal (ou même pénalisateur), ce qui relativise la portée de l'argument. En outre, une source d'aléa moral potentiellement plus importante a trait au mode d'exécution des mesures de démantèlement et de liquidation, qui ne sont habituellement pas du ressort des banques centrales. Toutefois, l'importance de l'aléa moral est parfois globalement surévaluée : par exemple, il existe des instruments permettant de sanctionner de manière adéquate les dirigeants et les actionnaires d'institutions défaillantes.

L' argument lié à l'émergence de conglomérats a été largement évoqué dans les débats récents. Il se fonde sur le fait que des liens plus étroits se tissent progressivement entre banques, sociétés financières, gestionnaires de portefeuilles et compagnies d'assurance, alors que la distinction traditionnelle entre différents contrats financiers s'estompe, de telle sorte que différents types d'intermédiaires sont en concurrence sur les mêmes marchés. Dans ces conditions, un contrôle sectoriel pourrait se montrer moins efficace dans la surveillance de l'exposition à des risques globaux au sein de grands groupes financiers complexes, tandis que des règles ou des pratiques différentes selon les secteurs pourraient altérer la saine concurrence entre les intermédiaires. Des instruments de coordination entre les différentes autorités sectorielles, comme des comités, protocoles d'accords, participations conjointes aux conseils d'administration, etc., qui fonctionnent avec succès dans de nombreux pays, pourraient réduire les difficultés. Mais l'argument de la concentration est souvent aussi mis en relation avec l'objectif de mise en place de structures de surveillance plus efficaces et celui de l'allégement de la charge que représente la réglementation pour les intermédiaires. Les groupes financiers présents dans de nombreux secteurs d'activité seraient à l'abri des obligations de déclaration et de paiement liées à la surveillance exercée par différentes autorités, ce qui réduirait les coûts de mise en conformité avec la réglementation (et peut-être de lobbying) ainsi que les risques d'évaluations contradictoires émanant des autorités de contrôle. Il n'est donc pas surprenant que le secteur financier apporte régulièrement son soutien aux réformes visant à mettre en place une agence de surveillance unique. Si les responsabilités dans le domaine de la surveillance de l'ensemble du secteur financier doivent être confiées à une autorité unique, la banque centrale n'est pas le candidat le plus naturel. Les banques centrales jouent traditionnellement un rôle dans la surveillance bancaire, à travers le contrôle des contreparties, qui sont un maillon essentiel dans la transmission de la politique monétaire. Toutefois, leur « champ de compétence naturel » ne comprend que rarement les sociétés financières et pratiquement jamais les compagnies d'assurance.

L' argument de la concentration des pouvoirs est étroitement lié aux arguments précédents. Confier à une banque centrale indépendante des tâches de réglementation et de surveillance, particulièrement si elles s'appliquent à l'ensemble du secteur financier, peut être jugé préjudiciable au système de « contrôles et contrepoids » sur lequel les démocraties s'appuient pour éviter la possibilité d'abus dans l'exercice de missions publiques.

2.3.   Évaluation générale

S'il n'existe aucun cadre communément admis pour mesurer les avantages et les inconvénients précités et tirer des conclusions ne prêtant pas à controverse, l'expérience a montré que la procédure lourde consistant à apporter des modifications d'ordre institutionnel à la structure de surveillance a été habituellement mise en Âœuvre pour réagir face à des signes de dysfonctionnement des dispositifs en place. L'expérience acquise jusqu'à présent sur le plan opérationnel, non seulement dans la zone euro mais aussi aux États-Unis, met en évidence le fait que les banques centrales accomplissent efficacement les missions de surveillance. Parallèlement, peu d'enseignements on été tirés à ce jour du fonctionnement du modèle d'agence unique selon le modèle de la FSA.

3.   Le point de vue de l'Eurosystème

Lorsque l'on examine le cadre institutionnel créé par l'introduction de l'euro , l'équilibre des arguments est profondément altéré. Les arguments en faveur de la séparation du contrôle prudentiel et des activités de banque centrale perdent l'essentiel de leur poids, tandis que ceux allant dans le sens d'une combinaison s'imposent davantage encore. En particulier, un cadre institutionnel dans lequel les compétences de l'Eurosystème dans le domaine de la politique monétaire de la zone euro vont de pair avec de larges responsabilités des BCN en matière de surveillance des marchés nationaux et avec une coopération renforcée au niveau de la zone euro semble approprié pour faire face aux changements induits par l'introduction de l'euro.

Une approche systémique s'impose de plus en plus. L'Union économique et monétaire (UEM) a changé la nature et l'ampleur du risque systémique. L'intégration des systèmes de paiement de gros montants et la restructuration des activités interbancaires ont d'ores et déjà modifié les canaux de contagion traditionnels au sein du segment le plus liquide du marché. La réorganisation des grands groupes bancaires et financiers et leur présence croissante sur des marchés européens de titres toujours plus intégrés influencent aussi la probabilité que des perturbations provenant des marchés de capitaux, ou transmises à travers ceux-ci, dépassent le cadre des frontières nationales. Les BCN peuvent tirer parti de l'attention qu'elles consacrent traditionnellement aux risques systémiques et, particulièrement, de la connaissance qu'elles acquièrent, en tant que membres de l'Eurosystème, des évolutions des marchés monétaires et de titres et des structures de marchés au niveau de la zone euro. Elles y gagnent un avantage comparatif dans le contrôle des risques encourus par chaque institution, notamment en ce qui concerne la corrélation entre leurs profils de risques. Les différentes facettes des BCN, qui sont à la fois les composantes d'une structure de l'Union européenne et des institutions nationales, peuvent constituer un avantage lorsqu'il s'agit de résoudre des questions internationales ou à l'échelle de la zone euro, dans le cadre de l'accomplissement de missions ne relevant pas de l'Eurosystème. Les agences nationales non rattachées aux banques centrales ont un mandat exclusivement national et entretiennent généralement des liens formels ou informels étroits avec le ministère des finances. En cas de problèmes, elles peuvent être enclines à moins se préoccuper des conséquences internationales et à privilégier une coopération avec les seuls pouvoirs publics nationaux. Les BCN, qui ont également une mission à remplir au niveau de l'Union européenne, préféreront associer la nécessaire coopération avec les autorités nationales à un réseau de contacts au sein de l'Eurosystème et réagiront ainsi de manière mieux coordonnée aux perturbations systémiques ayant des retombées internationales.

Les conflits d'intérêts et la concentration de pouvoirs ne constituent pas une réelle préoccupation. L'introduction de l'euro a entraîné une séparation institutionnelle entre les champs de compétence monétaire (la zone euro) et de la supervision (institutions et marchés nationaux). Désormais, les BCN n'exercent plus aucun contrôle indépendant sur la création de monnaie. Leur étroite participation au contrôle prudentiel ne serait dès lors à l'origine d'aucun conflit majeur avec les fonctions de politique monétaire, puisque les organes de décision compétents pour les deux types de fonctions ne coïncident plus. Le même raisonnement enlève également tout fondement ou presque à la préoccupation concernant une concentration excessive de pouvoirs, étant donné que les décisions de politique monétaire sont prises en dehors du contrôle exclusif des BCN et sont du ressort de l'Eurosystème. Dans certaines réflexions menées au niveau national, toutefois, la nature institutionnelle particulière des banques centrales nationales, entités indépendantes et composantes de l'Eurosystème, semble être perçue comme un obstacle à leur responsabilité vis-à-vis d'instances nationales. Mais il n'y a aucune raison valable pour que les BCN, dans l'accomplissement de leurs missions de surveillance, ne soient pas totalement responsables, de manière transparente, vis-à-vis des autorités nationales concernées, et notamment devant le parlement.

Les arguments liés à la concentration doivent être reconsidérés. L'émergence de conglomérats et l'intensification de la concurrence entre les différents secteurs financiers est à coup sûr l'argument majeur en faveur d'une agence de surveillance unique. Cela étant, cette question, si on la traite correctement, fait ressortir elle aussi la nécessité d'une profonde implication des BCN dans le contrôle prudentiel.

Premièrement, l'émergence de conglomérats financiers accroît la difficulté liée à la surveillance d'institutions multinationales vastes et complexes. Il en découle une préoccupation immédiate quant aux responsabilités des BCN, car de grands groupes présentant des structures complexes sont susceptibles de poser des problèmes d'ordre systémique. Contrairement à une BCN, une agence de surveillance distincte ne serait probablement pas en mesure d'évaluer rapidement et efficacement les risques de crise systémique : en effet, son approche essentiellement microprudentielle ne permet pas d'évaluer les conséquences de la propagation d'une crise à travers les systèmes de paiement et de règlement ou, comme dans le cas du fonds LTCM, l'incidence qu'un dénouement des positions peut avoir sur les prix des actifs et, partant, sur la solidité d'autres institutions financières. La nouvelle loi américaine sur les sociétés financières organisées en holdings n'a pas sans raison placé ces dernières sous la responsabilité directe du Système de Réserve fédérale. Lorsque l'attention se focalise comme il se doit sur les préoccupations systémiques, il apparaît clairement qu'une vision globale de la zone euro s'impose d'autant plus que les activités de ces grands groupes financiers aux structures complexes peuvent influencer les marchés monétaires et de capitaux ainsi que les systèmes de paiement et de règlement bien au-delà des frontières nationales. Les arguments favorables à une forte participation des BCN à la surveillance de ces groupes doivent donc être retenus.

Deuxièmement, l'émergence de conglomérats financiers pose également la question de l'« égalité de traitement ». Cette préoccupation, très répandue, apparaît toutefois nettement moins pertinente dans le débat actuel sur la surveillance. Le nouveau cadre sur l'adéquation des fonds propres que s'apprête à publier le Comité de Bâle sur la surveillance bancaire met en place un système plus axé sur les risques encourus par les diverses institutions. Le principe selon lequel les intermédiaires ne devraient pas tous remplir les mêmes obligations de surveillance lorsqu'ils présentent des profils de risques différents soulagerait considérablement, s'il était aussi appliqué à d'autres intermédiaires financiers, les préoccupations liées à l'égalité de traitement.

Troisièmement, la notion de concentration soulève également la question de la protection similaire qu'il convient d'assurer aux investisseurs bénéficiant de services équivalents de la part de différents types d'institutions ou d'institutions dont la complexité est de nature à entraîner des conflits d'intérêts. Ces implications sont assurément moins étroitement liées aux activités traditionnelles de banque centrale. Se placer dans la perspective de la zone euro se justifie, en outre, beaucoup moins dans ce contexte étant donné qu'il est admis, dans le schéma européen, que ces préoccupations continuent de concerner davantage le pays d'accueil, du moins pour ce qui est des investisseurs particuliers. Dès lors, si cela s'avère nécessaire, des solutions institutionnelles peuvent être élaborées qui confieraient à des agences distinctes les responsabilités de la protection des investisseurs et un rôle majeur de contrôle prudentiel aux BCN. Dans les pays où les traditions culturelles imposent une distinction moins nette entre surveillance microprudentielle et protection des investisseurs, la BCN pourrait en tout état de cause être chargée d'une mission spécifique dans la poursuite de ces objectifs.

Tous ces éléments confirment que, du point de vue de l'Eurosystème, l'attribution de responsabilités de surveillance étendues (à savoir à la fois de nature micro et macroprudentielle) aux BCN devrait être bénéfique. Cela permettrait d'exploiter les réseaux existant entre les autorités de surveillance de l'Eurosystème, avec pour corollaire une meilleure surveillance des risques pour la stabilité financière dans la zone de monnaie unique et une relation plus étroite avec les missions de banque centrale exercées au niveau de l'Eurosystème. La participation des BCN pourrait en outre dépasser le cadre du secteur bancaire étant donné que les préoccupations d'ordre systémique sont de plus en plus liées à l'existence de grandes organisations actives dans plusieurs secteurs. Si certains des arguments allant dans le sens de la séparation gardaient une part de pertinence dans le contexte institutionnel national, des solutions autres que l'attribution directe de responsabilités aux BCN pourraient se montrer assez efficaces, pour autant que les BCN soient largement impliquées, d'un point de vue opérationnel, dans le contrôle prudentiel. Dans de tels cas, il serait souhaitable d'associer les BCN à d'autres agences à travers des organes de décision conjoints, la mise en commun des ressources, humaines et autres, ainsi que la mise en Âœuvre d'autres mécanismes de coopération et d'échange d'informations.