Prince Henri Auditoire 02 BW

Publication du cahier d'études 66: The leverage cycle in Luxembourg’s banking sector

14.10.2011
Auteurs: Gaston GIORDANA and Ingmar SCHUMACHER

Les institutions bancaires à fort levier financier se sont trouvées à l’épicentre des turbulences qui ont conduit à la récente crise financière. Par conséquent, les investisseurs et les régulateurs portent une attention croissante au ratio d’endettement des banques. Le levier d’endettement est un indicateur du niveau de dépendance d’une banque du financement externe. Il mesure la part des actifs qui est financée par des fonds autres que les fonds propres. Plus le levier financier est élevé, plus la banque sera démunie face à l’émergence de chocs inattendus au niveau des passifs ou des actifs risqués, et plus important sera alors le risque de défaut. L’objectif de cette étude est de déterminer les facteurs sous-jacents à la dynamique du levier financier afin de comprendre ce qui conduit les banques à accepter les risques associés à un ratio d’endettement élevé. Cette étude est menée en deux étapes en se servant des données individuelles des banques d’un échantillon représentatif du secteur bancaire luxembourgeois au cours de la période 1er trimestre  2003 - 1er trimestre 2010.

Dans le cadre de la première étape, nous analysons la dynamique du ratio d’endettement des banques au Luxembourg, ainsi que le mécanisme de base qui serait à l’origine de ses ajustements. Plus précisément, nous cherchons à identifier les composantes du bilan susceptibles d’expliquer les changements du levier financier.

Il ressort de cette première analyse que le levier des banques est pro-cyclique. Il est plus ou moins synchrone avec l’évolution récente du cycle économique et des marchés financiers avec, notamment, une période de croissance suivie par un processus de désendettement à partir du troisième trimestre 2008. Ceci est essentiellement dû à l’évolution des crédits, qui représentent en moyenne pas moins de 75% des actifs, et s’explique du côté du passif par l’évolution des dépôts, lesquels représentent près de 85% du passif. Ainsi, les ajustements du levier financier des banques luxembourgeoises sont largement influencés par les variations de ces deux composantes. Des analyses sur la base d’une ventilation plus poussée nous permettent de conclure que ce sont les dépôts à vue et ceux à terme qui sont les plus fortement corrélés à l’évolution des actifs, tandis que, en moyenne, les dépôts à préavis et ceux liés à des opérations de mise en pension pourraient être associés à l’objectif de maintenir un niveau d’actifs constant.

La comparaison des résultats de la première étape de notre article avec l’étude d’Adrian and Shin [1] sur le cas américain soulève une différence qualitative frappante. Les banques luxembourgeoises, bien qu’ayant une structure bilantaire similaire aux banques commerciales aux Etats-Unis, sont caractérisées par un levier financier pro-cyclique, similaire aux banques d’investissement américaines. Afin d’approfondir la question et sachant qu’une telle classification n’existe pas au Luxembourg, nous définissons deux sous-échantillons selon que le levier financier des banques ait un comportement pro-cyclique ou acyclique. Nous comparons ensuite la structure bilantaire des deux types de banques. Nos résultats indiquent que les banques pro-cycliques ont un ratio de crédits-actifs totaux significativement supérieur et qu’elles concèdent une part conséquente de ces crédits à des institutions financières et monétaires. En outre, les dépôts représentent une plus grande partie des dettes pour ce type de banques, dépôts à vue pour la plupart. En revanche, les banques acycliques ont relativement plus de dépôts à terme, lesquels sont moins affectés par les fluctuations du cycle économique. Finalement, les banques classifiées en tant qu’acycliques investissent plus en titres souverains, considérés comme des investissements de long terme.

En plus des aspects bilantaires, la différence dans le comportement du ratio d’endettement entre les banques luxembourgeoises et les banques commerciales américaines peut s’expliquer également par le fait que les banques au Luxembourg sont essentiellement des filiales ou des succursales de grands groupes bancaires européens et jouent un rôle important en tant que fournisseurs de liquidité. Si les besoins de liquidité du groupe sont pro-cycliques, les banques luxembourgeoises feront face à une demande pour prêts également pro-cyclique. Un argument additionnel réside dans le fait que les banques au Luxembourg pourraient bénéficier du soutien du groupe en cas de besoin : cela limiterait l’utilité de cibler un levier financier constant. Toutefois, dans la deuxième étape des analyses menées dans cette étude, nous explorons des explications supplémentaires.

Dans la deuxième étape, nous analysons économétriquement les variables macroéconomiques susceptibles d’être des facteurs importants de l’évolution de l’endettement. En outre, nous étudions comment certaines caractéristiques du bilan s’associent aux mouvements du levier financier.L’hypothèse sous-jacente aux analyses menées dans cette étape est que les banques ciblent un certain niveau d’endettement qui n’est pas nécessairement constant. Au contraire, le niveau ciblé peut être fonction, d’une part, de la volonté d’assumer plus ou moins de risques ou, d’autre part, de la situation économique générale ou sectorielle ainsi que des prévisions à cet égard. Finalement, nous cherchons à déterminer si pendant la récente crise financière les banques ont modifié la façon dont elles prennent les décisions en matière de levier financier.

Les principaux résultats des analyses économétriques nous amènent aux conclusions suivantes. Premièrement, les banques chercheraient à élargir leur bilan quand les attentes économiques sont bonnes, alors qu’elles chercheraient à le réduire quand, au contraire, les anticipations sont sombres (cet effet est statistiquement significatif dans le période de crise). Deuxièmement, l’écart entre les taux d’intérêt Euribor 3 mois et l’OIS s’est révélé statistiquement significatif pour expliquer les mouvements du levier d’endettement. Ceci s’explique par le fait que lorsque des tensions sur la liquidité se manifestent et que les conditions du marché interbancaire se détériorent, les maisons-mères demanderont plus de fonds à leurs filiales établies au Luxembourg. Il y a lieu de souligner que les banques luxembourgeoises répondent essentiellement à ce gonflement des actifs par des augmentations de dépôts mais aussi par le biais de réductions titres détenus. Finalement, on constate que les positions hors-bilan jouent un rôle important dans la dynamique du levier financier. Les activités hors-bilan (qui incluent les crédits engagés, l‘octroi de garanties et des facilités de trésorerie) ralentissent la croissance du levier dans la période de pré-crise, tandis que, lors de la crise, elles l’amplifient. Par conséquent, le hors-bilan joue un rôle contra-cyclique dans la dynamique du levier financier.

Le cahier d’études peut être téléchargé sur le site de la BCL www.bcl.lu.