Prince Henri Auditoire 02 BW

Publication du Cahier d’études n° 140 PENELOPE : Luxembourg Tool for Pension Evaluation and Long-Term Projection Exercises

14.01.2020

Auteur: Luca Marchiori

 

 

Ce document présente un nouvel outil d’évaluation de la soutenabilité à long terme du système de pension au Luxembourg, PENELOPE, acronyme pour Luxembourg Tool for Pension Evaluation and Long-Term Projection Exercises. Il explique la structure du modèle, discute ses différences par rapport aux modèles existants et détaille les résultats de plusieurs simulations.

D’après le rapport sur le vieillissement de la Commission européenne, le 2018 Ageing Report, l’augmentation des coûts du vieillissement sur la période 2016-2070 mettra sous pression les finances publiques, notamment à travers la hausse attendue des dépenses de pensions. Parmi les Etats membres, le Luxembourg subirait, selon ces projections, la plus forte augmentation des dépenses de pensions par rapport au PIB, qui passeraient de 9% en 2016 à 17,9% en 2070.

L’évaluation des dépenses publiques liées au vieillissement dans le Ageing Report dépend des projections démographiques d’Eurostat et se fait en deux étapes. Tout d’abord, les effets de la démographie sur l’évolution des variables macroéconomiques (p.ex. l’emploi ou le PIB) résultent d’hypothèses et de méthodes communes entre Etats membres. Ces derniers calculent ensuite les dépenses de pensions avec leur propre outil de modélisation des pensions. Les projections de pensions pour le Luxembourg sont réalisées avec le modèle de pension de l’Inspection générale de la sécurité sociale (IGSS), le National Pension Model (NPM, voir Everard, 2017). Le Ageing Report a donc un objectif ambitieux, qui est de comparer les dépenses de vieillissement entre pays. Cependant, les hypothèses communes sur l’évolution des variables macroéconomiques, rendant comparables les résultats entre pays, empêchent de considérer aisément des scénarios alternatifs propres à chaque pays.

Or, pour une petite économie ouverte comme Luxembourg, certains facteurs extérieurs dont l’évolution est incertaine, comme l’immigration ou l’emploi frontalier, ont des effets importants sur les finances publiques. Ainsi les projections démographiques d’Eurostat publiées dans le Ageing Report sont révisées tous les trois ans et dépendent des hypothèses sur l’immigration.

Ces révisions influencent fortement les dépenses attendues des pensions. Alors que l’Ageing Report de 2012 prévoyait un ratio des dépenses de pensions par rapport au PIB en 2060 de 18,6% avec une population estimée à 0,73 million en 2060, le rapport de 2015 arrivait à un ratio de 13,4% pour une population à 1,10 million en 2060 et le dernier rapport de 2018 à un ratio de 16,0% pour 0,99 million d’habitants en 2060.

De même, l’afflux de frontaliers est tout aussi incertain et crucial pour l’analyse de la soutenabilité du système de pension, puisque les frontaliers contribuent grandement au financement du système mais en dépendent aussi lorsqu’ils partent à la retraite. Vu l’importance de ces incertitudes, il est utile de considérer différents scénarios (et modèles) pouvant contribuer chacun à comprendre les risques sous-jacents aux coûts attendus des pensions au Luxembourg.

La BCL a procédé ces dernières années à de nombreuses analyses sur la soutenabilité du système de pension grâce à son modèle d’équilibre général LOLA (Marchiori and Pierrard, 2015). LOLA modélise l’économie dans son entièreté, prenant en compte divers acteurs (consommateurs, firmes et gouvernement) et secteurs (financier et réel). Il se caractérise par des équations comportementales dans lesquelles les changements démographiques affectent les décisions des agents et donc les variables macroéconomiques. Par contre, le système de pension dans LOLA est agrégé, considérant uniquement les dépenses et contributions totales, mais ne distinguant par exemple pas entre différents bénéficiaires ou entre le régime général dédié au secteur privé et les régimes spéciaux du secteur public.

La première partie de ce document se consacre à la description de PENELOPE, un nouvel outil macro-comptable permettant d’analyser la soutenabilité à long terme du système de pension au Luxembourg. PENELOPE modélise le système de pension en exploitant les données désagrégées de l’assurance obligatoire, ce qui permet, entre autres, de décomposer les dépenses de pensions en différents groupes de bénéficiaires. De plus, l’approche intégrée de PENELOPE prend en compte les effets des évolutions démographiques sur les variables macroéconomiques.

NPM, LOLA et PENELOPE ont chacun leurs spécificités. Par exemple, PENELOPE est moins détaillé au niveau du système de pension que NPM, qui est un modèle comptable calibré à l’aide de données individuelles. Cependant, les répercussions des changements démographiques sur les variables macroéconomiques, incorporées dans PENELOPE, sont évaluées à l’aide d’hypothèses/méthodes externes dans NPM. Du point de vue de la BCL, LOLA et PENELOPE sont des modèles distincts et complémentaires. LOLA a une portée plus vaste que le système de pension, pouvant, en autres, analyser les effets du secteur financier sur la croissance, alors que PENELOPE peut étudier plus en détail le système de pension. Les deux modèles peuvent être utilisés pour comparer des résultats, mais aussi de manière séquentielle. PENELOPE peut ainsi évaluer les effets d’une mesure spécifique, dont l’impact global sur le système de pension sera ensuite utilisé comme hypothèse dans LOLA pour voir les effets sur le reste de l’économie. L’inverse est également possible. Les implications d’une mesure non liée au système de pension peuvent être calculées dans LOLA et servir ensuite dans PENELOPE (par exemple une mesure spécifique au système financier et affectant l’emploi total) pour considérer leurs effets sur certains types de pensions.

La suite du document présente différentes simulations évaluant la soutenabilité à long terme du système de pension.

Une première série de simulations décrit les résultats du scénario de référence de PENELOPE, caractérisé par les hypothèses suivantes: la population évolue selon les projections démographiques de l’Ageing Report de 2018 et atteint 0.99 million habitants en 2060, la part des frontaliers dans l’emploi croît de 2016 à 2070 et les mesures de la réforme du système de pension de 2012 s’appliquent aux paramètres de la formule de calcul des pensions. Dans le scénario de référence de PENELOPE, les dépenses de pensions passent de 9% du PIB en 2016 à 18.9% en 2070, alors qu’elles atteignent, en 2070, 17.9% avec NPM et 20% avec LOLA. Bien que s’appuyant sur des méthodologies distinctes, les trois modèles arrivent ainsi à des résultats proches, qui invitent à proposer des mesures afin de garantir la soutenabilité à long terme du système de pension.

Il est important de mentionner que les projections sont obtenues sous l’hypothèse technique de politique inchangée et qu’elles ne sont donc pas des prédictions, puisque le gouvernement sera amené à prendre des mesures correctrices afin d’éviter une dérive du coût des pensions.

L’utilité de telles projections réside donc moins dans les résultats d’un scénario spécifique que dans la comparaison des scénarios entre eux, permettant de comprendre l’effet de certaines hypothèses. Pour cette raison, d’autres simulations, qui modifient certaines hypothèses du scénario de référence, sont considérées.

Une deuxième série de simulations se concentre sur des évolutions alternatives de la démographie et de l’emploi frontalier. Le ratio des dépenses de pensions par rapport au PIB atteindrait 15,8% avec une population à 1,1 million d’habitants en 2070, comme dans l’Ageing

Report de 2015, et de 20,5% si la proportion de travailleurs frontaliers dans l’emploi restait constante.

Une troisième série de simulations se focalise sur la réforme du système de pension. Le ratio des dépenses de pensions par rapport au PIB atteindrait 25% en 2070 si les mesures de la réforme de 2012 n’étaient plus appliquées à partir de 2016 et 15,5% si les pensions n’étaient plus indexées à la croissance réelle des salaires. D’autres simulations évaluent aussi l’impact de la réforme proposée par la Fondation Idea, ‘Plan 50+1’ (Fondation Idea, 2018). En se basant sur plusieurs individus types, l’étude de la Fondation Idea trouve que, sous une hypothèse de croissance réelle de 3% du PIB, renforcer certaines mesures de la réforme de 2012 (notamment accentuer la baisse de la composante liée aux revenus cotisables et augmenter la hausse de la part fixe de la pension) garantit la stabilité du ratio dépenses de pension sur PIB. PENELOPE confirme ce résultat au niveau macroéconomique, mais montre également qu’avec une croissance du PIB plus faible, la proposition ‘Plan 50+1’ n’empêcherait pas une dérive du ratio des dépenses de pensions par rapport au PIB.

Une dernière série de simulations propose une analyse désagrégée se focalisant sur le régime général des pensions, notamment sur sa réserve. Dans le scénario central, les dépenses de pensions dépassent les contributions du régime général en 2027 et la réserve atteint le minimum légal, fixé à 1,5 fois le montant des dépenses annuelles, en 2044.

Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème.

 

 

Ce cahier d’études est disponible sur le site internet de la BCL : www.bcl.lu