Prince Henri Auditoire 02 BW

Publication du Cahier d'études 128: Shocks and labour cost adjustment: Evidence from a survey of European firms

18.04.2019

Auteurs: Thomas Y. Mathä, Stephen Millard, Tairi Rõõm, Ladislav Wintr et Robert Wyszyński 

 

Ce document évalue la réaction des entreprises européennes face à la crise économique et financière. Nous étudions la façon avec laquelle les entreprises ont ajusté leur emploi, leurs salaires et leurs heures de travail en fonction des chocs qu'elles ont subis. Nous utilisons les données d'une enquête menée en 2014-2015 par le « Wage Dynamics Network (WDN) » du Système européen de banques centrales. L'enquête a permis de recueillir des informations détaillées sur environ 25 000 entreprises de différents secteurs et tailles dans 25 pays de l'Union européenne. Elle couvre à la fois la phase initiale de la crise (2008-2009) et la crise de la dette souveraine qui s'ensuivit (2010-2013), ce qui nous permet de comparer les réactions des entreprises aux chocs à travers le temps. 

Nous élaborons un modèle théorique pour nous aider à comprendre la manière avec laquelle les entreprises peuvent choisir entre différentes façons d’ajuster leurs coûts de main-d'œuvre. L'intuition de base du modèle est qu'en réponse aux chocs affectant leur activité, les entreprises choisissent la manière la plus économique pour ajuster les coûts salariaux: les salaires horaires, l’emploi ou les heures prestées. En d'autres termes, la marge d’ajustement choisie dépendra des coûts qu’elle implique. Dans ce modèle, le problème d'optimisation est le même quel que soit le type de choc. Toutefois, le modèle permet aux entreprises de réagir différemment aux chocs positifs et négatifs. 

Nos résultats empiriques sont conformes au modèle théorique. Les résultats des régressions estimées montrent que la structure de l'ajustement n'est pas beaucoup influencée par le type de choc (choc de demande, choc d'accès au financement, choc de "disponibilité de fournitures"), mais diffère en fonction de la direction du choc (positive ou négative), son ampleur et sa persistance. Nous constatons que la réaction la plus courante à un choc est l’absence d’ajustement en termes de coûts de main-d'œuvre, à l'exception de chocs de demande. 

En 2010-2013, les entreprises qui ont souffert des chocs négatifs étaient plus susceptibles de réduire l'emploi, puis les salaires horaires, puis les heures prestées, quelle que soit la source du choc. En ce qui concerne notre cadre analytique, le profil des réactions aux chocs négatifs suggère que les coûts d'ajustement à la baisse de l'emploi sont inférieurs aux coûts d'ajustement à la baisse des salaires ou des heures, quel que soit le type de choc. Cela signifie que les coûts fixes de l'emploi, qui représentent des coûts de réduction du nombre d'heures de travail, étaient suffisamment élevés par rapport aux coûts de licenciement, de sorte que les entreprises trouvaient qu'il était moins coûteux de licencier des travailleurs que de réduire leurs heures. De même, les coûts de la réduction des salaires (sur le moral et l'effort des employés) étaient suffisamment élevés par rapport aux coûts de licenciement, de sorte que les entreprises trouvaient moins onéreux de licencier les travailleurs que de réduire leurs salaires. 

En réaction à des chocs positifs, les entreprises étaient davantage susceptibles d'augmenter les salaires, puis l'emploi et finalement les heures prestées. Ces résultats suggèrent une réaction asymétrique aux chocs positifs et négatifs, ce qui est conforme à notre modèle théorique. La rigidité à la baisse des salaires nominaux résulte des coûts associés à la réduction des salaires. En revanche, ces coûts ne sont pas pertinents pour les augmentations de salaire. En outre, les entreprises qui réagissent à des chocs positifs en augmentant sensiblement leur production devront probablement augmenter leur facteur travail. Nos résultats laissent entendre que la probabilité d'accroître l'emploi était plus élevée que celle d'augmenter les heures prestées. Notre modèle théorique suggère que ce résultat provient des coûts des heures supplémentaires excédant les coûts d'embauche de travailleurs supplémentaires. 

La comparaison entre 2008-2009 et 2010-2013 n'est disponible que pour sept pays (Allemagne, Bulgarie, Estonie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Luxembourg et Pologne). Cette comparaison montre un tableau mitigé, avec un peu plus de la moitié des ajustements ayant varié entre les deux sous-périodes. Généralement, en réponse à des chocs négatifs, le classement du recours aux ajustements a été "salaires-emplois-heures" en 2008-2009 mais est passé à "emploi-salaires-heures" en 2010-2013. La plupart des pays pour lesquels des données pour les deux périodes sont disponibles ont connu de profondes récessions en 2008-2009 et des expansions en 2010-2013. En temps normal, les entreprises ayant subi un choc négatif étaient plus susceptibles d'ajuster l'emploi que les salaires, mais en période de récession profonde, ce classement s'est inversé. Ces résultats sont en accord avec ceux d'études empiriques antérieures, qui ont montré que les salaires nominaux ont tendance à être rigides à la baisse, mais que cette rigidité s’atténue en cas de récessions profondes.

Nous comparons également la façon avec laquelle les entreprises réagissent aux chocs négatifs dans différents contextes institutionnels. Une législation stricte en matière de protection de l'emploi et la forte centralisation ou coordination des négociations salariales rendent moins probable la réduction des salaires par les entreprises lorsque ces dernières sont confrontées à des chocs négatifs. Cette tendance est présente pour tous les chocs que nous considérons. 

Nous examinons également la différence entre l'ajustement tant des salaires de base que des primes et l'ajustement tant de l'emploi permanent que temporaire. Tant les salaires de base que les primes sont moins susceptibles de réagir aux chocs négatifs qu'aux chocs positifs de demande. Dans le cas des salaires de base, ce résultat reflète la rigidité à la baisse des salaires nominaux et a été largement discuté dans la littérature. Les primes sont également plus rigides à la baisse qu'à la hausse. En ce qui concerne l'ajustement de l'emploi, les chocs de demande de longue durée conduisent à davantage d'ajustement de l'emploi permanent que de l'emploi temporaire. En ce qui concerne l'ajustement de l'emploi, la réaction aux chocs négatifs et positifs de demande semble plutôt symétrique. Il n'y a donc pas d’indication que les coûts de réduction de l'emploi (coût de licenciement et coût potentiel de réembauche et de requalification ultérieure des travailleurs) diffèrent sensiblement des coûts liés à l'augmentation de l'emploi (coûts d'embauche et de formation). 

Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème. 

Ce cahier d’études est disponible sur le site internet de la BCL : www.bcl.lu