Prince Henri Auditoire 02 BW

Publication du Cahier d’études n°130 - Central bank digital currencies: The case of universal central bank reserves

16.07.2019

Auteur: Paolo Fegatelli 

L’émission par la banque centrale d’une monnaie numérique destinée au grand public (en anglais : « central bank digital currency » ou « CBDC ») est souvent avancée comme possible réaction à l'émergence des monnaies numériques privées, tel que Bitcoin, ou le recul de l’utilisation des pièces et billets de banque dans certains pays. Selon plusieurs experts, l’introduction d’une CBDC permettrait aux banques centrales de faire face à une menace potentielle pour les monnaies officielles et de relever différents défis liés à leurs nombreuses activités. En particulier, le concept de CBDC a été proposé pour atteindre certains objectifs spécifiques (mise en œuvre de taux d’intérêt négatifs, réduction du rôle des banques dans l’économie, contrôle de la création du crédit, etc.), souvent sur la base d’une perspective unilatérale ou d’une analyse seulement partielle de son impact. 

C’est pourquoi cette étude vise à réexaminer différentes propositions pour l’introduction d’une CBDC en prenant en compte les divers principes, objectifs et contraintes imposés aux banques centrales. L’analyse des alternatives s’articule au travers de trois dimensions: i) le niveau de « perturbation » du système actuel causée par l’introduction d’une CBDC; ii) la compatibilité de la CBDC proposée avec les infrastructures techniques et les outils opérationnels déjà existants, réduisant ainsi les coûts et les risques liés à la mise en œuvre; et iii) la cohérence et l’attractivité du résultat pour les utilisateurs de la CBDC. Une telle approche nous amène à mettre en garde contre certaines des motivations et propositions les plus communes. Elle nous amène aussi à revisiter l’idée initiale de James Tobin d’établir un système de « réserves universelles » auprès de la banque centrale (en anglais : « universal central bank reserves »), en précisant de manière plus détaillée les conditions pour sa mise en place à l’époque actuelle.

Les résultats de cette analyse confirment que l’introduction d’une CBDC n’est pas une question anodine. Une banque centrale qui décide de suivre ce chemin devra soigneusement étudier la conception de la CBDC à travers différents cadres d’analyse. La solution choisie devrait s’adapter à plusieurs contraintes de nature politique, économique, institutionnelle et opérationnelle. Une telle solution serait inévitablement un compromis, voire le résultat d’une médiation entre différentes perspectives. Cela explique la prudence d’un grand nombre de banques centrales quant aux mesures concrètes à prendre en ce qui concerne l’émission d’une CBDC. 

Toute solution visant à introduire une CBDC à grande échelle pourrait avoir un impact non négligeable sur l’architecture du système financier. Cela impliquerait la possibilité d’une séparation fonctionnelle plus ou moins accentuée des activités bancaires (« narrow banking »). Les solutions les plus radicales envisagent de réduire drastiquement le rôle des banques dans l’allocation du crédit à l’économie réelle. De telles solutions reposeraient essentiellement sur deux hypothèses « fortes » : l’existence de marchés (presque) parfaits et un degré élevé de synchronisation entre la politique monétaire et la politique budgétaire. Un scénario plus réaliste et moins déstabilisant serait l’introduction d’une CBDC sous forme de réserves universelles, non rémunérées mais avec des frais variables liés aux taux de référence. Cependant, cette solution pourrait imposer des contraintes aux banques centrales dans le choix du cadre opérationnel pour la mise en œuvre de la politique monétaire. Il faudrait – entre autres – que la banque centrale soit prête à garantir en permanence la fourniture de liquidités à taux fixe aux banques afin de pouvoir faire face à une possible fuite accélérée de leurs dépôts en cas de crise.   

Cela ne va pas de soi. Même lorsque des instruments à cet effet existent déjà et ont été utilisés (comme dans la zone euro), d’autres raisons pourraient suggérer une approche plus prudente. Une banque centrale qui s'engage formellement à fournir tout financement résiduel à un taux fixe, en remplacement des dépôts bancaires, pourrait être soumise à une pression politique bien plus forte, étant donné son niveau de visibilité et de responsabilité beaucoup plus élevé. Un tel rôle rendrait plus explicite sa fonction de « prêteur en dernier ressort » en cas de crise bancaire. En fonction du calibrage de son dispositif de prêts contre garanties, la banque centrale pourrait influer directement sur les volumes de prêts octroyés par les banques, aussi bien que sur les conditions sous-jacentes, même secteur par secteur. Les banques privées continueraient à se charger de l’allocation du crédit au reste de l'économie, mais la discipline de marché exercée par les déposants vis-à-vis des banques serait alors partiellement remplacée par un contrôle opéré par la banque centrale. Cela pourrait avoir du sens – d'un point de vue économique – surtout dans les pays où la banque centrale est déjà chargée de la supervision bancaire. Cependant, il faudrait que ce changement ne se fasse pas au détriment de l’indépendance et de la neutralité de la banque centrale, sous prétexte de limiter la concentration d’un pouvoir économique qui pourrait être perçu comme excessif. 

 

Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème. 

Ce cahier d’études est disponible sur le site internet de la BCL : www.bcl.lu