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THE ONE TRILLION EURO DIGITAL CURRENCY: How to issue a digital euro without threatening monetary policy transmission and financial stability?
Auteur: Paolo Fegatelli
En octobre 2020, la Banque centrale européenne a publié un rapport examinant l’euro numérique, une forme électronique de monnaie de banque centrale qui pourrait être accessible à tous les citoyens et entreprises pour les transactions de détail. L’introduction d'une telle monnaie numérique de banque centrale (en anglais : central bank digital currency ou CBDC) pourrait devenir indispensable sous plusieurs scenarios. Cependant, elle pourrait également entraîner une désintermédiation bancaire, avec des effets indésirables pour la stabilité financière et la transmission de la politique monétaire par le canal du crédit. En effet, si les banques centrales permettent aux clients bancaires d’échanger une partie substantielle de leurs dépôts contre des CBDC, cela pourrait faciliter des retraits massifs en cas de panique bancaire. Même en temps normal, les banques commerciales pourraient se trouver privées d'une source importante de financement bon marché, ce qui pourrait les inciter à réduire leurs prêts et leurs bilans, avec des répercussions négatives sur l'activité économique et l’inflation.
Cette étude vise à développer un cadre théorique réaliste afin d’analyser l’impact qu’aurait l'introduction de l'euro numérique sur les banques. Elle met en évidence deux conditions essentielles pour éviter une désintermédiation bancaire ou un resserrement du crédit. Premièrement, la banque centrale devrait disposer de mécanismes appropriés pour contrôler le volume de CBDC en circulation. Cela lui permettrait de garder le contrôle de la politique monétaire, tout en évitant une contraction des réserves bancaires qui pourrait compromettre l'efficacité des politiques monétaires non conventionnelles. Étant donné que le niveau actuel de liquidité excédentaire s'élève à 4 335 milliards d'euros, une estimation prudente, calibrée sur les conditions d'avant la crise, suggère qu'un peu plus de mille milliards d'euros pourraient être émis en tant que CBDC. L’analyse examine deux instruments pour gérer les volumes de CBDC sans imposer de plafonds stricts : i) un instrument direct tel que le taux de rendement global de la CBDC (frais et charges inclus), et ii) un mécanisme indirect basé sur les réserves obligatoires des établissements de crédit.
Deuxièmement, la banque centrale devrait continuer à favoriser l'accès à ses facilités de prêt à long terme afin de permettre aux banques dont les réserves sont limitées de compenser l’érosion des dépôts de la clientèle, convertis en CBDC, par une autre source de financement au même coût. Ceci impliquerait le maintien de mesures qui sont déjà en place dans la zone euro depuis plus d'une décennie et dont l’utilisation s'est encore étendue au cours de la pandémie. Dans ces conditions, les banques compenseraient la baisse des dépôts par des emprunts auprès de la banque centrale, et ne devraient ainsi avoir aucune raison de réduire leurs volumes de prêts. De plus, les banques disposant de réserves excédentaires suffisantes pour couvrir la réduction des dépôts pourraient voir leur rentabilité augmenter proportionnellement. Quant aux banques jouant le rôle d’agents et de « points d’accès » à la CBDC, elles bénéficieraient d’une occasion unique d’améliorer leur situation concurrentielle par rapport aux prêteurs non bancaires, facilitant leur transition vers un nouveau modèle d’affaires plus conforme à l’économie numérique du XXIe siècle.
Au niveau macroéconomique, le concept de CBDC ici proposé devrait non seulement permettre d’éviter la désintermédiation massive des banques, mais aussi l’abandon des espèces comme instrument de paiements et surtout comme réserve de valeur. En outre, une plus grande partie de base monétaire se trouverait en dehors du système bancaire, ce qui réduirait la variabilité de la masse monétaire au bénéfice de la stabilité financière.
Dans le cadre de la mise en œuvre de la politique monétaire, étendre l’accès au bilan de la banque centrale pourrait fournir un moyen plus direct d’influencer les conditions de l'économie réelle. En contrôlant le volume et le coût d'utilisation de la CBDC, la banque centrale disposerait d'un outil efficace pour mieux gérer la liquidité du système bancaire. Dans la zone euro, la conception de la CBDC devrait aussi tenir compte de la répartition hétérogène des réserves excédentaires entre les banques des différents pays. Cela ne devrait pas représenter un obstacle majeur à l’introduction de l’euro numérique si les mesures d'accompagnement sont correctement conçues. En effet, la CBDC pourrait contribuer à générer des conditions plus homogènes entre les banques des pays de la zone euro, en permettant l’absorption de grandes quantités de réserves excédentaires inutilisées (et onéreuses pour les banques) sans pour autant pénaliser les activités de crédit. Cela est important, étant donné qu’au sein de la zone euro l'excès de liquidité a presque doublé en 2020 et qu’il est susceptible de continuer à augmenter, sous l'effet des politiques monétaires non conventionnelles et des autres facteurs liés à la crise. Le taux d’intérêt négatif sur la facilité de dépôt signifie que ces réserves excédentaires représentent un coût annuel pour les banques de plus de 13 milliards d’euros. L'introduction d'un euro numérique pourrait diminuer cette charge, favorisant la profitabilité bancaire et donc l’octroi du crédit à l’économie réelle, contribuant ainsi à la relance de la production et au retour de l’inflation vers son niveau cible.
Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème.
Ce cahier d’études est disponible sur le site internet de la BCL : www.bcl.lu