Prince Henri Auditoire 02 BW

Publication du Cahier d’études n°100 - LOLA 3.0: Luxembourg OverLapping generation model for policy Analysis - Introduction of a financial sector in LOLA

27.11.2015

Auteurs: Luca Marchiori et Olivier Pierrard


Le rôle du secteur financier dans l'économie luxembourgeoise n'a cessé de croître depuis les années 1980 pour en devenir le principal moteur. En même temps, le Luxembourg a pu bénéficier de l'afflux de travailleurs frontaliers pour satisfaire son besoin en main-d’œuvre. Ces dynamiques ont permis au Luxembourg d'afficher des taux de croissance élevés. Sur la période 1986-2007, le taux de croissance annuel moyen du PIB a été de 5,7%, plus de deux fois celui enregistré dans les pays limitrophes. Cette période est aussi caractérisée par un faible taux de chômage, une augmentation du PIB par habitant et des finances publiques en équilibre (voire en surplus).

La crise financière mondiale de 2008 a, cependant, affecté l'économie du Luxembourg et, en premier lieu, son secteur financier, puisque les banques au Luxembourg sont exposées à la performance de leurs banques mères se trouvant à l'étranger. Le bilan agrégé des banques a chuté de 20% sur un an (de 2008 à 2009) et l'emploi dans les établissements de crédit a baissé de 5% depuis la crise. Le PIB a baissé de 5,4% en 2009 et n'a cru en moyenne que de 1,0% sur la période 2008-2013. De plus, il persiste une incertitude quant à l'évolution future de la place financière, puisqu'elle est confrontée à des défis importants, comme les changements réglementaires et institutionnels en cours.

Dans ce papier, nous considérons des évolutions alternatives de l'activité du secteur financier ainsi que de l'afflux de travailleurs frontaliers (car les deux sont intimement liés) et analysons leurs effets sur l'économie du Luxembourg. Dans ce but, nous développons un modèle d'équilibre général dynamique avec un secteur financier pour l'économie du Luxembourg, LOLA 3.0. Le secteur financier est la principale nouveauté par rapport à LOLA 2.0, une version caractérisée par une dynamique de population divisée en de nombreuses générations, un marché du travail avec chômage involontaire et une ouverture de l'économie avec des importations et exportations de biens et services non-financiers.

Depuis la crise de 2008, des efforts ont été réalisés pour mieux modéliser les interactions entre la sphère financière et l'économie réelle dans les modèles d'équilibre général dynamiques. Or, le but de la plupart des modèles d'équilibre général dynamiques intégrant un secteur financier est d'analyser comment les frictions financières amplifient les cycles économiques. Ils se focalisent aussi sur le rôle d'intermédiation du secteur financier entre épargnants domestiques et investisseurs domestiques. Cette approche ne convient pas à notre analyse. Premièrement, nous sommes intéressés par l'effet de long terme que peuvent avoir des changements structurels sur l'économie du Luxembourg. Deuxièmement, au Luxembourg, l'activité d'intermédiation financière sur le marché domestique est limitée par rapport aux activités que le secteur financier a avec l'étranger. En effet, on s'aperçoit que la plupart des banques au Luxembourg sont des filiales ou des succursales ayant leur maison-mère à l'étranger (5 banques sur 143 sont d'origine luxembourgeoise) et plus de 90% des actifs bancaires comme des passifs sont vis-à-vis des non-résidents. Par conséquent, contrairement à la littérature existante, le secteur financier dans LOLA 3.0 ne fait pas d'intermédiation sur le marché domestique mais exporte des services financiers liés aux crédits internationaux, à la gestion de patrimoine, aux fonds d'investissements, etc. A cet effet, nous nous basons sur une fonction de production dans laquelle le secteur financier utilise du capital, du travail et des biens et services non-financiers pour produire des services financiers. Cette approche nous semble appropriée, car l'emploi dans le secteur financier constitue une partie non-négligeable de l'emploi total au Luxembourg; de plus, l'utilisation de biens et services non-financiers dans la fonction de production représente les répercussions que le secteur financier a sur l'activité non-financière (p.ex. restaurants, construction...).

Afin d'étudier l'évolution de l'économie du Luxembourg sur la période 2015-2060, LOLA 3.0 incorpore quatre changements liés à (i) la démographie, (ii) l'afflux de travailleurs frontaliers, (iii) la réforme des pensions, (iv) l'activité dans le secteur financier. Les projections démographiques sont basées sur le scénario médian des Nations Unies (2014), qui prévoit une hausse de la population et du ratio de dépendance (personnes de plus de 64 ans par rapport aux personnes âgées de 20 à 64 ans) jusqu'en 2060. La réforme des pensions (loi du 21 décembre 2012 portant réforme de l'assurance pension) est introduite et entraîne une baisse de la générosité du système des pensions au cours des prochaines décennies. Concernant l'activité dans le secteur financier et l'afflux de travailleurs frontaliers, nous considérons trois scénarios alternatifs.

Dans le scénario optimiste, nous supposons que la demande pour des services financiers s'accroît de sorte qu'entre 2015 et 2060, la fraction de la valeur ajoutée provenant du secteur financier augmente de 27% à 33% et la proportion de travailleurs frontaliers passe de 42% à 52%. Nos simulations montrent que pendant cette période, le PIB par habitant augmente, la croissance annuelle passe progressivement de 3% à 1,5% (en termes réels), l'emploi augmente et le chômage reste stable en-dessous de 6%. Par contre, les finances publiques se détériorent à cause du vieillissement de la population et des frontaliers qui partent progressivement en pension. Le déficit public, actuellement proche de 0%, passe à 10% en 2060, malgré les effets de la réforme des pensions. Un second scénario, plus conservateur, suppose que la part de la valeur ajoutée du secteur financier reste stable autour du niveau actuel ainsi que la part des frontaliers dans l'emploi. Il en résulte une stabilisation du PIB par habitant, qui reste plus ou moins au niveau actuel jusqu'en 2060. Par rapport au scénario optimiste, le chômage est en hausse (en moyenne +0,5pp sur la période), la croissance de l'emploi et du PIB est moins élevée (en moyenne respectivement -0,3pp et -0,4pp) et le déficit augmente (une différence de +4pp en 2060). Finalement, dans le scénario pessimiste, nous supposons que la demande pour des services financiers diminue et la part de la valeur ajoutée du secteur financier baisse à 22% tandis que la part des frontaliers dans l'emploi atteint 38% en 2060. Il en résulte que le PIB par habitant diminue à 80% du niveau actuel. Comparé au scénario optimiste, le chômage est plus élevé (en moyenne +1pp), la croissance de l'emploi et du PIB est plus faible (respectivement -0,5pp et -0,7pp) et le déficit est en hausse (+9pp en 2060).

En guise de conclusion, rappelons que le modèle développé dans cette étude ne permet pas d'expliquer les crises financières, mais il peut en évaluer les conséquences. Au Luxembourg, le secteur financier a été le principal moteur de l'économie durant les trente dernières années. Nos résultats montrent qu'un ralentissement marqué de l'activité financière aurait des effets non-négligeables sur le reste de l'économie (baisse des profits, pertes d'emploi...) et sur toute l'économie (plus faible croissance économique, baisse du PIB par habitant...). Par contre, quel que soit le développement futur du secteur financier, on observe une dégradation des finances publiques, due principalement au vieillissement de la population et au départ à la retraite de larges contingents de travailleurs frontaliers.


Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème.

Ce cahier d’études est disponible sur le site internet de la BCL : www.bcl.lu